Dans l’Église se prolonge la libération sacerdotale du Christ

 

Trente-et-unième dimanche du temps ordinaire; 4 novembre 1979; Lectures : DeutĂ©ronome 6,2-6; HĂ©breux 7,23-28; Marc 12,28-34.

 

La messe dominicale : signification de la prĂ©sence du prĂŞtre et du peuple sacerdotal

 

Cette présence sacerdotale, ensemble avec vous, Peuple de Dieu, sanctifié dans le baptême, participant de l’éternel sacerdoce du Christ qui nous donne la mesure merveilleuse de ce que signifie notre messe du dimanche présidé par un prêtre. Ce dernier, même s’il s’agit du plus humble, détient l’autorisation du Christ pour convoquer le peuple de Dieu et le présider; et uni avec ce peuple, qui est une part active de cette messe, offre comme peuple sacerdotal au travers du ministère du prêtre ou du ministre, le sacrifice le plus magnifique que la Terre puisse offrir à Dieu.

 

 

Le sacerdoce du Christ

 

La seconde lecture (He 7,23-28), qui est providentiellement une lecture sacerdotale, servira de base Ă  notre rĂ©flexion. Elle confronte le transitoire de la vie de l’homme qu’est le prĂŞtre, avec l’éternel, l’irremplaçable, l’infini sacerdoce du Christ. L’épĂ®tre d’aujourd’hui nous dit (He 7,23) : « De plus, ceux-lĂ  sont devenus prĂŞtres en grand nombre, parce que la mort les empĂŞchait de durer. Â»

Les prĂŞtres, nous sommes des hommes mortels comme tous les mortels, nous vieillissons et nous mourons, mais avec une satisfaction profonde lorsque passe les annĂ©es, ce que nous dit cette Ă©pĂ®tre Ă  la suite (He 7,24) : « Mais Lui, du fait qu’Il demeure pour l’éternitĂ©, Il a un sacerdoce immuable. Â» Nous ne faisons pas compĂ©tition au Christ, sinon que nous sommes ses humbles serviteurs pour le rendre prĂ©sent en ce monde tant que Dieu se prĂ©vaut de notre pauvre vie mortelle, pour qu’elle soit un signe transitoire de l’éternel et de l’unique sacerdoce que nous reprĂ©sentons. Il est Celui qui peut sauver dĂ©finitivement ceux qui Ă  travers Lui s’approche de Dieu, parce qu’Il vit pour toujours pour intercĂ©der en leur faveur.

 

Le prĂŞtre est un messager de l’éternitĂ© du Christ mĂŞme dans son passage pour la vie. L’auteur de l’épĂ®tre aux HĂ©breux poursuit en parlant de l’éternitĂ© de ce sacerdoce et de l’efficacitĂ© de ce mystère que le prĂŞtre rend prĂ©sent aux hommes : Il pardonne, il donne le Corps du Christ, il baptise, il enseigne la Parole divine, non pas parce qu’il est Ă©ternel ou infaillible, mais parce qu’il est messager de l’infaillible et de l’Éternel.

 

C’est cela, notre considération, mais, unis à ce mystère de l’homme-prêtre-ministre, appréciez, chers laïcs, la grandeur que vous avez comme Peuple Sacerdotal à tel point que nous, prêtres, provenons du peuple, de nos familles qui sont vous, pour être oints et retourner au service du peuple. C’est ce que veut dire être ministre, sacerdoce ministériel, serviteur. Mais ici l’unique Seigneur est le Christ et nous ne sommes que ses intermédiaires, et vous êtes la partie principale de ce service pour vous approcher du Christ.

 

Depuis le jour du baptĂŞme de chacun de vous, ainsi que de moi-mĂŞme lorsque je fus baptisĂ©, et chaque messe du dimanche est, prĂ©cisĂ©ment, la manifestation de ce sacerdoce du Christ. Nous ne venons pas Ă  la messe pour assister Ă  un acte de piĂ©tĂ©, nous venons Ă  la messe pour rĂ©aliser un mystère profond que plusieurs ne comprennent pas. Jusqu’au plus petit enfant qui est venu Ă  la messe, jusqu’à celui qui se croit le plus insignifiant ici prĂ©sent, il est un membre du Peuple Sacerdotal, de celui que nous chante la Sainte Bible : « Il nous fit seigneurs, rois et prĂŞtres pour notre Dieu. Â» De sorte que chacun de nous peut dire qu’il est prĂŞtre pour notre Dieu.

Opportunité des lectures pour faire cette réflexion sacerdotale et nationale

 

C’est pourquoi le thème sacerdotal s’impose parmi les autres lectures pour que nous donnions, comme de coutume, ce titre Ă  l’homĂ©lie d’aujourd’hui. Dans la situation actuelle du pays, serait-ce une aliĂ©nation de venir Ă  la messe tandis qu’il existe tant d’intĂ©rĂŞts politiques, militaires et Ă©conomiques autour de nous? Nous-mĂŞmes sommes les protagonistes de cette histoire temporelle de la patrie. Ne serait-ce pas une folie de s’éloigner de cette besogne oĂą se trouve plonger toute la rĂ©publique pour venir passer un moment tranquille d’adoration Ă  notre Dieu? D’aucune manière! Si ce qui sauve le monde c’est le Christ-prĂŞtre, prĂ©sent par son Peuple Sacerdotal sur la Terre. Et en faisant cette rĂ©flexion d’aujourd’hui, je vous invite Ă  ce qu’ensemble, avec les prĂŞtres et vous tous, le Peuple Sacerdotal, nous assumions sĂ©rieusement notre tâche de Peuple de Dieu, de prĂŞtres, d’évĂŞques, non pas pour nous aliĂ©ner de l’histoire du Salvador, mais pour ĂŞtre en cette histoire ce que le Christ veut que son Peuple soit : sel, lumière, ferment.

 

Puisse Dieu, et c’est lĂ  mon plus grand souhait que j’aimerais vivre et vous faire comprendre, que je prĂŞche et que je travaille uniquement pour faire l’Église, pour qu’elle soit toujours davantage en ce monde, au Salvador, la prĂ©sence d’un archidiocèse qui soit vraiment Peuple de Dieu au sein de notre rĂ©publique. Qu’elle soit Peuple de Dieu, c’est pourquoi, Ă  partir des caractĂ©ristiques des lectures d’aujourd’hui je donne ce titre Ă  mon homĂ©lie : dans l’Église se prolonge la LibĂ©ration Sacerdotale du Christ.

 

Puisse Dieu vous faire comprendre ce grand mystère que même moi je ne comprends pas dans toute sa totalité, mais qui me fait entrevoir en quoi consiste la responsabilité si grande de ceux qui forment cette Église.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Mission du Peuple de Dieu, vous et nous les prĂŞtres : dĂ©fenseurs du monothĂ©isme. Dieu est un, seul et unique. (C’est cela le monothĂ©isme que l’Église dĂ©fend et proclame).

 

2) Mission de l’Église en ce temps, selon les lectures d’aujourd’hui : constructrice de la civilisation de l’amour. (Comme nous avons besoin de ce ferment de l’amour au milieu d’une pâte qui se pourrit de haine et de violence).

 

3) L’Église est ministre du véritable culte de Dieu.

C’est ici, en synthèse, ma pensée et je demande à l’Esprit saint que votre attention, si aimable, se convertisse en intention afin que nous fassions tous sentir cette présence de l’Église au Salvador comme force libératrice et sacerdotale du Christ.

 

 

1) Mission du Peuple de Dieu, vous et nous les prĂŞtres : dĂ©fenseurs du monothĂ©isme

 

 

A) Polémique du Christ au cours de la dernière semaine de sa vie

 

L’Évangile d’aujourd’hui (Mc 12,28-34) nous situe dans la dernière semaine du Christ. Nous avons suivi, dans l’Évangile de Marc, ce pèlerinage du Christ dans sa montée à Jérusalem, annonçant à trois reprises sa passion; l’heure est arrivée, c’est déjà l’entrée triomphale du dimanche des Rameaux. Et ces jours, entre ce dimanche et sa mort, sont des jours de grande activité parce que là dans l’atrium du temple ou à ses alentours, se tiennent des discussions qui s’échauffent et présagent déjà de la fin tragique de ce Maître de la vérité face à tant de mensonges et de légalismes humains.

 

 

Un Ă©pisode amical avec un scribe

 

L’épisode d’aujourd’hui (Mc 12,28-34) abaisse le ton de la polĂ©mique pour amorcer une conversation amicale avec un scribe, un docteur de la loi, qui vient demander au Christ au sujet d’une grande discussion qui avait lieu entre les maĂ®tres d’IsraĂ«l qui tentaient d’organiser les innombrables lois de MoĂŻse et de la tradition : Comment peuvent-elles ĂŞtre cataloguĂ©es? Quelles sont les principales lois autour desquelles il faut articuler toutes les autres qui rendent la religion si difficile?

 

 

Évocation du Shema ou liturgie d’Israël

 

« Quel est le premier de tous les commandements? Â» lui demande ce maĂ®tre Ă  JĂ©sus. JĂ©sus rĂ©pondit : « Ce que vous avez entendu. Â» Cette citation que saint Marc nous rapporte correspond Ă  ce que les Juifs appellent la Shema, cela veut dire « Ă©coute Â». « Ă‰coute IsraĂ«l Â», c’est presque textuellement comme le Christ est citĂ©, ce que nous rencontrons dans le livre du DeutĂ©ronome lorsque MoĂŻse, selon la tradition, ordonna Ă  son peuple de graver cette parole dans sa mĂ©moire (Mc 12,28-31) : « Ă‰coute IsraĂ«l, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cĹ“ur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : tu aimeras ton prochain comme toi-mĂŞme. Â»

 

 

Moïse prévient contre les idolâtries de Canaan

 

Le Christ nous invite Ă  ouvrir le livre du DeutĂ©ronome (6, 2-6) et nous rappelle cette fameuse profession de foi dans le Dieu unique et de l’engagement de l’amour exclusif de l’être humain envers ce Dieu unique. Il nous invite Ă  ouvrir le livre du DeutĂ©ronome oĂą ce peuple qui a entendu la rĂ©vĂ©lation d’un Dieu vivant et Ă©ternel est mis en garde par MoĂŻse du grand danger qui le guette, Ă  l’entrĂ©e de la Terre promise : la tentation de Canaan. Les CananĂ©ens Ă©taient des hommes qui adoraient des idoles, de faux dieux.

 

 

Seulement une foi monothéiste

 

Le peuple qui allait entrer en cette terre nouvelle, qui selon l’expression biblique produit du lait et du miel pour exprimer son abondance, courait la tentation de croire que le dieu de Canaan Ă©tait peut-ĂŞtre plus fort que le Dieu qui leur avait fait parcourir un dĂ©sert aride et dur. Il s’agissait d’une tentation thĂ©ologique très grande et MoĂŻse prĂ©voyant cela leur dit (Dt 6,4-9) : « Ă‰coute IsraĂ«l : YahvĂ© notre Dieu est le seul YahvĂ©. Tu aimeras YahvĂ© ton Dieu de tout ton cĹ“ur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dicte aujourd’hui restent dans ton cĹ“ur! Tu les rĂ©pĂ©teras Ă  tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couchĂ© aussi bien que debout; tu les attacheras Ă  ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau; tu les Ă©criras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes. Â» Comme pour dire cette foi en ce Dieu unique doit ĂŞtre ta consigne personnelle, familiale et sociale. Tu es le peuple de Dieu et tu dois te distinguer par ton appartenance Ă  ce Dieu.

 

 

Portée patriotique du monothéisme d’Israël

 

C’est une foi au cĹ“ur d’un monde polythĂ©iste, qui adore de nombreux dieux, et cette foi possède une portĂ©e patriotique : Uni Ă  cette foi en ton Dieu unique, est la possession de la terre et tes relations sociales et politiques avec les hommes. Tant que tu demeureras fidèle Ă  ce Dieu, tu possĂ©deras cette terre oĂą coulent le lait et le miel; et les idolâtries seront ton grand pĂ©ril. 04/11/79, p.402-403, VII.

 

 

B) Nos idolâtries sont aussi la destruction de notre patrie

 

Très chers frères, je veux expliquer maintenant cette parole de Moïse à notre peuple du Salvador. Je voudrais ce matin que nous fassions nôtre cette pratique qu’a le peuple d’Israël de réciter deux fois par jour la Shema. Tout ce texte de Moïse que nous venons de prononcer, les Juifs le prient chaque jour. C’est ainsi qu’ils le portent jusque sous une forme matérielle, collé sur les bracelets de leurs mains et de leurs chapeaux, les bribes qu’ils ont écrites de la loi de Moïse, de la loi de Dieu.

 

C’est pourquoi le Christ les critiquait lorsqu’Il disait : « Vous faites consister votre religion Ă  rendre plus long les phylactères, en rendant plus longues ces lanières et ces sacs oĂą vous portez les Écritures de la rĂ©vĂ©lation divine. Â» Ces phylactères sont exactement ce que MoĂŻse, dans un langage figurĂ© et non au sens littĂ©ral, leur avait dit afin qu’ils n’oublient pas dans tous leurs gestes quotidiens, sur leurs mains, leur front et devant leurs yeux, pour qu’ils pensent toujours qu’il n’existe qu’un seul Dieu.

 

Un Salvadorien pourrait bien dire : cela est d’une autre Ă©poque. Il est vrai que les baals de Canaan sont d’un autre temps, mais il existe en notre patrie d’autres baals, les idoles d’aujourd’hui, devant lesquels cette Église qui prolonge la mission sacerdotale du Christ doit proclamer comme MoĂŻse, la foi en un Dieu unique. C’est le ministère des prĂŞtres de dire aux humains qu’ils adorent de fausses idoles, de prendre garde parce qu’ils dĂ©truisent la patrie et ils offensent Dieu. 04/11/79, p.403-404, VII.

 

 

Richesses et propriété privée

 

Dans ma lettre pastorale (aoĂ»t 1979), j’ai signalĂ© ces trois dangers que court le pays. Trois grandes idolâtries. La première est celle de la propriĂ©tĂ© privĂ©e et de la richesse. Je vous invite Ă  ce que, au cours de notre rĂ©flexion sur l’unique Dieu vĂ©ritable, nous rĂ©flĂ©chissions Ă  ces idoles de la richesse et de la propriĂ©tĂ© privĂ©e Ă  l’aide de ces sages paroles qu’a dites le Pape Jean-Paul II, Ă  Puebla, aux pasteurs d’AmĂ©rique latine : « C’est ici que naĂ®t la prĂ©occupation constante de l’Église pour la dĂ©licate question de la propriĂ©tĂ©. Â» Et il nous rappelle les traditions depuis le dĂ©but du christianisme qui furent systĂ©matisĂ©es par la sagesse de Thomas d’Aquin, qui jamais ne donna un sens absolu, d’idole, Ă  la propriĂ©tĂ© privĂ©e.

 

Cette voix de l’Église, Ă©cho de la voix de la conscience humaine, qui ne cessa pas de rĂ©sonner au travers des siècles au cĹ“ur des systèmes et des conditions socioculturelles les plus variĂ©es, mĂ©rite et nĂ©cessite d’être Ă©coutĂ©e aussi Ă  notre Ă©poque. Lorsque la richesse croissante de quelques-uns correspond Ă  la misère croissante des masses. C’est alors que l’enseignement de l’Église acquiert un caractère urgent, selon lequel sur toute propriĂ©tĂ© privĂ©e est inscrite une hypothèque sociale. Le Christ ne demeura pas indiffĂ©rent devant ce vaste et exigeant impĂ©ratif de la morale sociale. L’Église ne pourrait pas non plus l’être. Dans l’esprit de l’Église, qui est l’Esprit du Christ, et nous appuyant sur sa vaste et solide doctrine sociale, nous avons toujours Ĺ“uvrĂ© en ce domaine. Â» Ou autrement dit : Nous ne nous fatiguerons jamais de dĂ©noncer l’idolâtrie de la richesse qui fait consister la vĂ©ritable grandeur de l’homme en « avoir Â» et qui oublie que la vĂ©ritable grandeur c’est « l’être Â». L’être humain ne vaut pas en fonction de ce qu’il possède, mais en fonction de ce qu’il est. Seuls ceux qui sont idolâtres de l’avoir et avares, s’opposent aux changements sociaux. Et si nous courons aujourd’hui un grand danger en ce pays, c’est celui de l’idolâtrie. Peut-ĂŞtre que la plus grande tentation en ce moment oĂą nous pourrions commencer les transformations dont notre patrie Ă  besoin, c’est l’extrĂŞme droite, les fanatiques de la richesse, les idolâtres de l’argent, ceux qui ne veulent pas qu’on touche Ă  leurs privilèges et qui s’associent aux militaires rancuniers qui prĂ©parent dĂ©jĂ  un contrecoup.

 

En ces jours, jusqu’avec des noms concrets de militaires et de riches, a été dénoncé un danger insurrectionnel. Nous ne savons pas jusqu’à quel point ces rumeurs sont fondées, mais il est certain qu’il existe un réel danger idéologique. Tant que ces idolâtres des choses de la Terre ne se seront pas convertis au Dieu véritable, ceux-ci constitueront le plus grand danger pour notre patrie. Nous devons donc nous efforcer de nous convertir au Dieu unique.

 

Lorsque nous parlons ainsi, aucun esprit de ressentiment social ne nous motive. Grâce Ă  Dieu, nous n’adorons pas la richesse et elle ne nous manque pas, parce que nous avons tout en notre Dieu unique qui a crĂ©Ă© les choses de la Terre. Nous nous sentons infiniment plus dĂ©veloppĂ©s et riches que ceux qui croient dans les richesses et l’or de la Terre. « Combien davantage le cĹ“ur de l’homme s’attache Ă  cette idole, dit le Pape dans Populorum Progressio, combien il manifeste son degrĂ© intime de sous-dĂ©veloppement moral Â» qui est la cupiditĂ©, l’avarice, l’envie, le dĂ©sir de possĂ©der toujours davantage, la volontĂ© de subjuguer les autres par sa richesse. C’est en cela que consiste le plus grand sous-dĂ©veloppement moral, parce que l’idolâtrie dĂ©truit l’homme et offense Dieu. 04/11/79, p.404-405, VII.

 

 

Sécurité nationale

 

Il existe une autre idolâtrie que l’Église se doit de dĂ©noncer et de dĂ©masquer Ă  notre Ă©poque. En cette heure de la patrie, elle le fait et doit le faire avec courage, c’est l’idole du pouvoir, surtout lorsqu’il se nomme SĂ©curitĂ© nationale : on croit ainsi absolus l’intĂ©rĂŞt et le bĂ©nĂ©fice de quelques-uns, et alors on dĂ©soriente la noble fonction des forces armĂ©es qui, au lieu de servir les vĂ©ritables intĂ©rĂŞts nationaux, se convertissent en gardienne des intĂ©rĂŞts de l’oligarchie, fomentant ainsi sa propre corruption idĂ©ologique et Ă©conomique. Quelque chose de similaire se produit avec les corps de sĂ©curitĂ© qui, au lieu de prendre soin de l’ordre civique, deviennent fondamentalement des organismes de rĂ©pression des dissidents politiques, et finalement, l’État Major substitue inconstitutionnellement les instances politiques qui devraient dĂ©cider dĂ©mocratiquement des destinĂ©s du pays.

 

Nous avons alors l’omnipotence de ces régimes, le mépris de l’individu et de ses droits, le manque total d’éthique dans les moyens pour parvenir à leurs fins, la Sécurité nationale, sarcastiquement se convertit en insécurité nationale.

 

J’invoque tout ceci dans l’esprit de MedellĂ­n. Dans le document sur la pastorale des Ă©lites, il y a un apartĂ© adressĂ© aux pouvoirs militaires qui dit ceci : « En ce qui concerne les forces armĂ©es, l’Église devra leur inculquer que, en plus de leurs fonctions normales spĂ©cifiques, elles ont la mission de garantir les libertĂ©s politiques des citoyens au lieu de leur faire obstacle. Par ailleurs, les forces armĂ©es ont la possibilitĂ© d’éduquer, Ă  l’intĂ©rieur de leurs propres cadres, les jeunes recrus en fonction de leur future participation, libre et responsable, dans la vie politique de leur pays. Â» (7,20)

 

Comme vous voyez, l’Église n’est pas pessimiste, elle ne participe pas à l’idéologie qui dit que l’on ne peut espérer rien de bon des militaires. L’Église indique les grands péchés des militaires, mais elle les appelle à la conversion. Elle espère que soit sincère la lumière d’espérance qu’une jeunesse militaire, véritablement orientée par ces idéaux de noblesse, du service du peuple, ne recherche pas sa force dans sa propre institution en maltraitant le peuple, mais dans le peuple qui a besoin de la sentir proche et protectrice de ses droits et de ses intérêts.

 

Pour moi, il s’agit d’une heure de beaucoup d’espérance. Et quand nous prêchons ici en fonction de notre ministère, le monothéisme, le Dieu unique qui est la mission de l’Église nous voulons arracher les fausses idoles à tous leurs adorateurs. Ainsi, comme nous l’avons dit aux idolâtres de l’argent, à ceux du pouvoir et des forces armées, de ne pas faire consister en cela leur grandeur. Ils doivent user de cette force pour le service de ce peuple qui en a tant besoin, qui a tant pleuré, qui a trop saigné pour qu’ils recherchent une médecine plus dure. 04/11/79, p.405-406, VII.

 

 

Les organisations populaires

 

Mais je parle aussi dans ma lettre pastorale, et je le rĂ©pète maintenant Ă  la lumière de la Parole de Dieu avec MoĂŻse qui appelle son peuple Ă  adorer un Dieu unique : attention aux baals. Il existe un autre grand danger d’idolâtrie parmi nous et c’est l’organisation. L’organisation qui surgit Ă  l’origine d’un droit du peuple de s’organiser pour se dĂ©fendre. C’est très bien, nous l’avons dit mille fois : L’Église dĂ©fend ce droit du peuple de s’organiser. Mais que, naissant avec des fins si nobles, ce droit peut se prostituer aussi en une fausse adoration lorsqu’on s’en fait un absolu, lorsqu’on considère l’organisation comme une valeur suprĂŞme Ă  laquelle il faut subordonner tous les autres intĂ©rĂŞts jusqu’aux intĂ©rĂŞts mĂŞmes du peuple. Le peuple n’importe plus alors, mais seule compte l’organisation. Ils sont idolâtres aussi. Cette vision absolue de l’organisation dans la pratique se fanatise de sorte que ce ne sont plus les intĂ©rĂŞts du peuple qui priment; c’est lĂ  que se situe le grand danger.

 

Lorsqu’une organisation cesse de rechercher l’unique absolu qui doit être Dieu, c’est-à-dire, le bien commun de la patrie, elle politise trop son agir, comme si la dimension politique devenait l’unique et la principale dans la vie personnelle des paysans, des ouvriers, des professeurs, des étudiants, et de tous ceux qui la composent. Il est dangereux de politiser la vie au point de croire que tout est politique. La politique est une dimension de la vie, mais elle n’est pas toute la vie.

 

Une autre absurdité de cette forme d’idolâtrie de l’organisation c’est lorsqu’elle tente de subordonner à ses objectifs politiques la mission spécifique des autres organisations corporatives, sociales ou religieuses. C’est le cas de ceux qui manipulent les professions au service d’un objectif politique et qui arrivent à vouloir manipuler l’Église pour qu’elle serve à leurs fins. Ils sont nombreux ceux qui tombent dans cette tentation de vouloir une Église politisée, laquelle ne peut être. Si l’Église parle de politique c’est en demeurant Église, mais sans se laisser manipuler par personne.

 

Un autre grand danger de cette idolâtrie c’est lorsqu’on cherche à subordonner tous les intérêts du peuple à ses idéaux politiques. On se désintéresse alors de ce qui fut peut-être au départ l’aspiration d’un paysan pauvre, d’un ouvrier pour améliorer sa situation; et l’organisation se convertit en une campagne politique qui peut l’amener à de tragiques conséquences. Oui, il est certain qu’il faut lutter jusqu'à la mort, mais il faut savoir orienter cette lutte pour que cette mort en vaille la peine et non pas mourir pour n’importe quoi. Le sectarisme de l’organisation idolâtrique en arrive à de tels niveaux que cela l’empêche d’établir le dialogue et l’alliance avec d’autres types d’organisations revendicatrices. Si en cette heure les Salvadoriens cherchent par des chemins différents le salut de la patrie, pourquoi veulent-ils se limiter à un seul sentier et ne pas vouloir entrer en dialogue et en négociations avec les autres chemins? Entre tous nous pouvons trouver la solution!

 

Écoutez ce que dit le Concile Vatican II au sujet des chrĂ©tiens qui prennent des options politiques distinctes : « Plusieurs fois, il se produira que la propre conception chrĂ©tienne de la vie incline les chrĂ©tiens, en certains cas, Ă  choisir une solution dĂ©terminĂ©e. Mais il pourra arriver, comme cela se produit frĂ©quemment et en tout droit, que d’autres fidèles guidĂ©s par une sincĂ©ritĂ© aussi grande jugent du mĂŞme sujet d’une manière distincte. Dans ces cas de solutions divergentes, en dehors de l’intention de chaque partie, plusieurs auront facilement tendance Ă  relier leur solution avec le message Ă©vangĂ©lique. Ils manipulent alors le message Ă©vangĂ©lique comme s’ils avaient le monopole de l’Évangile. Â» Comprenez tous, dit le Concile, qu’en de tels cas, il n’est permis Ă  personne de revendiquer en sa faveur exclusive l’autoritĂ© qui appartient Ă  l’Église. Personne ne peut dire : l’Église est avec moi. Recherchez toujours Ă  vous Ă©clairer mutuellement par un dialogue sincère, gardant la charitĂ© mutuelle et la sollicitude primordiale pour le bien commun.

 

 

Le Plaisir : le Sexe

 

Je crois que l’enseignement de l’Église sur le monothĂ©isme et contre toutes les idolâtries est bien clair. Je voudrais ajouter, Ă  ce point de la mission de l’Église, qu’il existe d’autres idoles plus honteuses que ceux que je viens de mentionner. Ce sont les idoles du plaisir, du sexe et du vice. Combien d’hommes aujourd’hui se trouvent en marge de tout ce qui se passe dans notre patrie! Cela leur importe peu, seuls leur importent les plaisirs de la chair, se satisfaire eux-mĂŞmes, l’égoĂŻsme, l’hĂ©donisme. Tout cela, frères, est une idolâtrie combien plus pernicieuse lorsqu’elle est plus honteuse. Elle dĂ©truit la fidĂ©litĂ© des mĂ©nages, la noblesse de la fĂ©conditĂ© humaine, la grandeur de la maternitĂ© de la femme. Combien de valeurs vĂ©ritables ont Ă©tĂ© sacrifiĂ©es Ă  cette idole du plaisir et du sexe! Face Ă  toutes ces idoles, l’Église proclame le grand message que le Christ rappela au scribe Ă  la veille de sa mort : « Le Seigneur Notre Dieu est seulement un. Â» C’est ce en quoi consiste la synthèse de notre mission monothĂ©iste en ce monde. 04/11/79, p.406-407, VII.

 

Je dois faire référence aussi en cette dénonciation de l’idolâtrie, de la violence et de l’organisation ainsi qu’aux autres idolâtries, à la situation de l’occupation des ministères. Ils ont déjà libéré la majorité des employés qui étaient retenus en otage. Mais là, il y a des personnes qui ne font pas partie de ces ministères, comme on m’informa d’un groupe de producteurs de café qui étaient allés précisément au ministère de l’Économie pour négocier en faveur des moyens et des petits producteurs de café. La Junte a proposé au Bloc Populaire Révolutionnaire de dialoguer avec elle s’ils libèrent les otages qui restent. Cela me semble un geste positif de la Junte que d’avoir reconnu comme interlocuteur les membres d’une organisation populaire, chose que le régime antérieur n’avait jamais faite. Cela m’apparaît aussi très positif que la Junte ait manifesté une attitude de dialogue et de l’intérêt pour étudier les propositions du Bloc.

 

D’autre part, je comprends la méfiance de l’organisation qui ne veut pas libérer ses otages de crainte d’être réprimée d’une manière aussi brutale que le furent les manifestations populaires réalisées cette semaine.

 

Je me solidarise avec l’angoisse des familles des otages, je comprends leur angoisse. Quelques-unes ont fait appel à moi comme médiateur, mais la médiation, je le répète, doit se faire entre les deux parties et le Bloc Populaire Révolutionnaire n’a pas voulu admettre la médiation de l’archevêque. Pour surmonter cette impasse des négociations et répondre à la douleur de tant de gens qui se sentent opprimés comme par un véritable fascisme, qui souffrent l’absence de leurs êtres chers. Je suggère, j’encourage le Bloc Populaire Révolutionnaire et la Junte du gouvernement pour qu’ils cherchent à surmonter les difficultés pour entrer en dialogue, et que le premier point négocié soit celui de la libération des otages. La même chose doit être faite par les autres organisations. On m’a dit que la Junte a offert de dialoguer avec d’autres organisations, mais que celles-ci ont refusé.

 

Il y a un dicton qui dit : « C’est en parlant que les gens s’entendent. Â» Nous apprenons Ă  parler le langage politique et non seulement celui de la violence. Soyons agiles pour refaire nos analyses et nos schĂ©mas lorsqu’ils ne correspondent plus Ă  la rĂ©alitĂ©. L’histoire ne s’encadre pas dans des systèmes rigides. L’histoire est vie et celui qui s’engage Ă  modeler cette vie de l’histoire en politique, doit ĂŞtre un homme qui ne se referme pas sur ses cadres. Il doit demeurer ouvert pour comprendre dans ces cadres, l’agilitĂ© de l’histoire. C’est ce qui nous manque : que ces groupes organisĂ©s soient vĂ©ritablement des dirigeants politiques, qu’ils soient des Ă©ducateurs du peuple et qu’ils soient vraiment des forces sociales qui sachent faire pression et orienter, sans se refermer, mais ouverts. Ce qui importe aujourd’hui plus que jamais, c’est le bien de la patrie qui doit passer avant le bien de la propre organisation. Pardonnez-moi, mais je crois qu’en cet appel, se trouve la base des solutions. Personne ne possède la clĂ©, c’est pour cela que nous souffrons, mais tous ensemble nous pouvons la trouver. 04/11/79, p.414, VII.

 

 

2) Mission de l’Église en ce temps, selon les lectures d’aujourd’hui : constructrice de la civilisation de l’amour

 

 

A) Perfectionne l’Ancien Testament

 

Le Christ cite l’Ancien Testament dans son dialogue avec le scribe. Il lui rappelle le premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout de ton cĹ“ur, de toute ton âme, de toutes tes forces. Â» Il lui dĂ©montre que c’est lĂ  que se situe la base de cette grande nation qui s’appela Peuple de Dieu, tant qu’ils demeurèrent fidèles au Dieu unique de tout leur cĹ“ur. C’est la logique de ce dialogue : il n’existe qu’un seul Dieu et je dois lui donner tout mon ĂŞtre, tout mon cĹ“ur et toute ma vie. L’Alliance avec Dieu n’est pas une question juridique, mais de don de soi, d’amour, de tout mon ĂŞtre. Mais le Christ perfectionne cette loi de l’Ancien Testament lorsqu’Il rĂ©pond au lĂ©giste de son temps : « La seconde loi est celle-ci : tu aimeras ton prochain comme toi-mĂŞme. Â» L’originalitĂ© du Christ est d’unir en un seul prĂ©cepte, sous une seule motivation, l’amour au prochain avec l’amour Ă  Dieu. C’est ce qui est original chez les chrĂ©tiens : que nous aimons pour Dieu.

 

 

Puebla… la civilisation de l’amour

 

C’est pourquoi, lorsque Puebla invite l’AmĂ©rique latine Ă  l’option prĂ©fĂ©rentielle pour les pauvres, il Ă©crit : « Il ne s’agit lĂ  d’aucune division, c’est l’appel sans distinction de classes, aux riches et aux pauvres, pour que nous nous intercĂ©dions pour le pauvre comme s’il s’agissait de notre propre cause. Â» Plus encore, comme de la cause du Christ qui dira : « Tout ce que vous lui avez fait, c’est Ă  moi que vous l’avez fait. Â» Le Christ s’identifie Ă  l’homme et il peut dire : « Le premier commandement c’est d’aimer Dieu; et le second, si semblable Ă  celui-ci, aimer le prochain par amour de Dieu. Â»

 

 

La force qui caractĂ©rise l’homme : l’amour

 

Si j’avais le temps, nous analyserions le message de Puebla lorsqu’il appelle Ă  construire la civilisation de l’amour. J’aimerais seulement dire une phrase. Plusieurs croient que cet appel Ă  l’amour est inefficace, qu’il est insuffisant, qu’il est faible; cela est si rĂ©el que quelques-uns des journalistes qui m’interrogèrent m’ont demandĂ© souvent ceci : et vous qui prĂŞchez l’amour, vous croyez que l’amour peut rĂ©soudre cela? Vous ne croyez pas qu’il n’y ait plus d’autre chemin que celui de la violence, si dans l’histoire, la violence est la seule qui ait obtenu des changements? Je leur ai rĂ©pondu : si vraiment c’est ainsi, c’est la preuve que l’homme n’a pas encore utilisĂ© la plus grande force qui le caractĂ©rise. L’homme ne se caractĂ©rise pas par la force brute, ce n’est pas un animal. L’être humain se caractĂ©rise par la raison et par l’amour.

 

Puebla dit à ceux qui pensent que prêcher l’amour est une faiblesse, qu’ils offensent le Christ, parce que le Christ est Celui qui nous commanda de croire en l’amour, Lui qui par amour sauva le monde entier. Ce qui se passe c’est que nous n’avons pas encore étrenné la force de l’amour. Ce que nous voyons autour de nous c’est la méfiance, la violence, la peur, la vengeance.

 

Puebla dit Ă©galement : « Il n’y a pas de satisfaction plus profonde que celle de savoir pardonner, celle de savoir se rĂ©concilier. Â» Je crois que cela doit ĂŞtre le mot d’ordre de la rĂ©publique, rĂ©concilions-nous, ne nous polarisons pas, vivons dans l’intĂ©gritĂ© de l’amour. Soyons capables d’accomplir ce que le Christ disait : que l’amour n’est pas seulement ce que tu ressens envers celui qui te fait du bien et t’est sympathique; l’amour c’est aussi d’aimer ton ennemi, savoir lui pardonner et savoir lui tendre la main, pour qu’ensemble nous puissions construire le bien qui nous importe Ă  tous les deux. 04/11/79, p.415-416, VII.

 

 

3) L’Église est ministre du véritable culte de Dieu

 

 

Commentaire du scribe

 

Frères, je termine avec cette pensĂ©e sacerdotale. Lorsque je dis que l’Église est ministre du vĂ©ritable culte de Dieu, je me rĂ©fère Ă  ce commentaire que fait le scribe Ă  JĂ©sus-Christ devant la rĂ©ponse du principal commandement. Le scribe lui dit (Mc 12,32-34) : « Fort bien, MaĂ®tre, tu as eu raison de dire qu’Il est unique et qu’Il n’y en a pas d’autres que Lui : l’aimer de tout son cĹ“ur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer le prochain comme soi-mĂŞme, vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices. Â» JĂ©sus, voyant qu’il avait fait une remarque pleine de sens, lui dit : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. Â» C’est cette proximitĂ© du Règne de Dieu, lorsque nous comprenons que notre religion n’est pas seulement un culte, pas seulement une prière, en gardant notre cĹ“ur dans la haine.

 

 

Sacrifice spirituel

 

Le véritable culte est le culte spirituel, celui qui aime, celui qui se donne au service des autres, celui qui va à la messe le dimanche après avoir vécu une semaine de don de soi au foyer, au travail, et avoir vécu non pas pour lui-même, mais pour les autres. Le culte spirituel précède le culte structurel. La messe en soi n’a pas de sens, même si elle est la présence du Christ qui est mort pour nous, si nous ne venons pas avec l’enthousiasme du Christ qui se livre.

 

ĂŠtre sur la mĂŞme longueur d'onde que le Christ c’est ce que saint Paul nous dit Ă©galement dans la seconde lecture (He 7,23-28) dont le thème principal a Ă©tĂ© : le Christ, prĂŞtre Ă©ternel qui s’est livrĂ© une fois pour toutes, qui sanctifie tout le peuple. Comme le culte qui se donne Ă  Dieu lorsqu’il part de la profondeur de son amour est fĂ©cond! 04/11/79, p.416, VII.