La Croix de la Vie

 

Vingt-deuxième dimanche du temps ordinaire; 3 septembre 1978; Lectures : JĂ©rĂ©mie 20,7-9; Romains 12,1-2; Matthieu 16,21-27.

 

Je voudrais ajouter aux lectures bibliques (Jr 20,7-9; Rm 12,1-2 : Mt 16,21-27), ce passage du Concile Vatican II oĂą est dĂ©crit le chemin du Peuple de Dieu, de l’Église (L.G. 9) : « Au milieu des embĂ»ches et des tribulations qu’elle rencontre, elle est soutenue, dans sa marche, par le secours de la grâce divine que lui a promise le Seigneur, afin que, dans la condition de l’humaine faiblesse, elle ne laisse pas d’être parfaitement fidèle, mais demeure la digne Ă©pouse de son Seigneur et se renouvelle sans cesse elle-mĂŞme, sous l’action de l’Esprit saint; jusqu’à ce que, par la croix, elle parvienne Ă  la lumière qui ne connaĂ®t pas de dĂ©clin. Â»

 

Il existe Ă  l’intĂ©rieur de cette mĂŞme Église, les faiblesses de la chair et au dehors d’elle, un ensemble de tribulations et de persĂ©cutions. Tout cela constitue la Croix de l’Église. Et ce dimanche, nous allons Ă©clairer Ă  l’aide de la Parole de Dieu qui nous parle de la Croix, et Ă  la fin de notre rĂ©flexion, nous Ă©clairerons les rĂ©alitĂ©s qui nous entourent et celles qui appartiennent Ă  l’intimitĂ© de notre Église. Nous allons demander au Seigneur ce que vient de nous dire le Concile. Que malgrĂ© les difficultĂ©s de sa propre chair, des tribulations et des persĂ©cutions du mal, de l’indiffĂ©rence qui nous entoure, nous soyons le Peuple de Dieu, fidèle Ă  son Seigneur, jusqu’à ce que par la Croix, nous atteignons la lumière. Conservez cette phrase qui est comme la synthèse de ma pauvre parole de ce matin : la Croix de la Vie.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) La Croix provoque les crises les plus profondes de la vie

2) Seule la Croix peut donner sens Ă  la vie

3) Sans la Croix la vie est un Ă©chec

 

 

1) La Croix provoque les crises les plus profondes de la vie

 

Mais auparavant, qu’est-ce que signifie la Croix dans l’Évangile d’aujourd'hui? Parce que je ne voudrais pas que l’on ait de notre religion une idĂ©e de conformisme. « Soyez patients, endurez, dĂ©jĂ  s’approche la vie Ă©ternelle. Â» C’est ce que nos ennemis qualifient d’opium pour endormir le peuple. Mais l’Église n’est pas opium, l’Église est un stimulant, elle provoque pour que nous vivions cette sainte agressivitĂ© que Dieu a donnĂ©e Ă  tous les hommes. Mais comme je dis dans ma Lettre pastorale (aoĂ»t 1978), une agressivitĂ© qui doit ĂŞtre bien canalisĂ©e, par le Christ, non pour dĂ©truire, sinon pour construire. La Croix n’est pas une patience sans courage, elle n’est pas passivitĂ©, ni conformisme sans effort.

 

Quand saint Marc a dĂ©crit ces mots sur les lèvres du Christ : « Celui qui dĂ©sire me suivre, qu’il se renie lui-mĂŞme, qu’il prenne sa croix et me suive Â», il a voulu se faire l’écho des premières persĂ©cutions. L’Évangile fut Ă©crit quelques annĂ©es après que le Christ l’eut prĂŞchĂ©. C’était le fruit des rĂ©flexions de la communautĂ© et celle-ci pouvait faire rĂ©fĂ©rence, comme nous le faisons au cours de nos homĂ©lies, aux persĂ©cutions et Ă  ses martyrs. C’est de lĂ  que provient leur comprĂ©hension de la Parole de la Croix. Un courage qui s’expose pour le Christ, une dĂ©fense de la justice de l’Évangile, un travail pour la construction d’un monde meilleur. Observons s’ils y parvinrent. LĂ  Ă  Rome, sur les colonnes paĂŻennes est plantĂ©e la Croix du Christ comme pour signifier le triomphe, la victoire de la foi. Ă€ la base, il y a beaucoup de sang de martyrs, mais les chrĂ©tiens purent dire que ce sang est une semence de la rĂ©novation de la sociĂ©tĂ©. Un monde nouveau surgit des batailles de la Croix.

 

Il y a aussi le signe de la Croix, dans la Parole d’aujourd’hui, surtout Ă  la lumière de la seconde lecture, cela signifie l’accomplissement de la volontĂ© de Dieu. Gravons cela dans notre esprit : la Croix est l’accomplissement de la volontĂ© de Dieu et n’attribuons pas Ă  celle-ci le fruit de notre paresse, ne rendons pas Dieu coupable des injustes inĂ©galitĂ©s, ne Le rendons pas responsable du sous-dĂ©veloppement des hommes. Dieu ne veut pas cela, c’est pourquoi quand Paul VI modifia le sens de la pĂ©nitence pour le peuple chrĂ©tien, il dit qu’il avait diffĂ©rentes façons d’interprĂ©ter le sens de la pĂ©nitence de la vie chrĂ©tienne.

 

D’une manière, l’on peut jeĂ»ner dans les pays dĂ©veloppĂ©s oĂą l’on mange bien alors qu’on jeĂ»ne autrement dans les pays sous-dĂ©veloppĂ©s oĂą la faim est presque la norme quotidienne. La pĂ©nitence dans ce cas, disait-il, c’est de mettre de l’austĂ©ritĂ© lĂ  oĂą existe un grand confort matĂ©riel et donner valeur et solidaritĂ© Ă  ceux qui souffrent; et travailler pour un monde plus juste lĂ  oĂą l’on vit presque toujours dans le jeĂ»ne. C’est cela la pĂ©nitence, c’est cela la volontĂ© de Dieu. Ce sont des paroles que j’appuie, des phrases de saint Paul, des documents de l’Église qui interprètent pour le monde d’aujourd’hui le sens de la Croix, contre une fausse interprĂ©tation qui n’est pas la Croix du Christ – comme dit Pie XI quand Ă  Rome fut hissĂ© la croix d’Hitler. « On a arborĂ© Ă  Rome une croix qui n’est pas celle du Christ. Â» Et ce Pape courageux se retira de Rome.

 

Parce que la Croix du Seigneur est diffĂ©rente des croix que les hommes veulent arborer, parce que la Croix du Seigneur est distincte des croix avec lesquelles on veut nous endormir. Cela Ă©tant, saint Paul et le Christ Lui-mĂŞme nous disent qu’il n’est pas digne du Christ celui qui ne prend pas la Croix du Christ pour le suivre. C’est ce que j’ai dit dans ma première rĂ©flexion d’aujourd’hui : la Croix provoque les crises les plus profondes de la vie.

 

Prenons par exemple cette vie modèle qu’est celle du Christ. L’Évangile de saint Matthieu nous situe en un moment crucial de la mission de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ : Il est avec ses disciples, Ă  l’écart de l’incomprĂ©hension et Il arrache aux apĂ´tres, lĂ  Ă  CĂ©sarĂ©e de Philippe, la première confession de son messianisme. Cela satisfait le Seigneur qui sent que sa semence de foi dans le cĹ“ur des apĂ´tres est en train de fructifier, ils mĂ»rissent dans la foi. C’est dĂ©jĂ  l’heure de faire la première annonce qui transpose le messianisme glorieux du Fils de Dieu vivant Ă  son envers, le Serviteur souffrant, le Serviteur de YahvĂ© et c’est alors qu’Il annonce pour la première fois que le Fils de l’Homme doit monter Ă  JĂ©rusalem, que les prĂŞtres et les dirigeants du peuple vont influencer le peuple pour L’accuser, pour Le calomnier et pour Le faire condamner Ă  mort sur la Croix.

 

 

Mais le troisième jour, Il ressuscitera.

 

Pour la première fois, surgit des lèvres du Seigneur, le mystère pascal qu’Il sera Lui-mĂŞme, le mystère qui va nous rĂ©unir tous les dimanches parce que c’est pour cela que nous venons Ă  la messe, chaque dimanche, pour recueillir les paroles du Seigneur : « Nous annonçons ta mort, nous proclamons ta RĂ©surrection Â», c’est de cela que vit le Peuple de Dieu. Et le Christ, pour la première fois rĂ©vèle le mystère, non seulement de sa RĂ©surrection, – parce qu’il est très facile de suivre un Christ glorieux, le Messie, Fils du Dieu vivant, Celui qui doit venir sur les nuĂ©es du Ciel pour juger tous les hommes –, mais le plus difficile c’est que l’annonce de ce messianisme a aussi comme envers une autre face très distincte, douloureuse et humiliante; le Christ souffre ici la crise de la tentation. Un des siens, prĂ©cisĂ©ment celui qui vient de le confesser comme Ă©tant le Fils du Dieu vivant, va ĂŞtre pour lui une source de scandale et de gĂŞne (Mt 16,22-23) : «Pierre, le tirant Ă  lui, se mit Ă  le morigĂ©ner en disant : « Dieu t’en prĂ©serve, Seigneur! Non, cela ne t’arrivera point Â»!Mais lui se retournant, dit Ă  Pierre : « Passe derrière moi, Satan! Tu me fais obstacle, car tes pensĂ©es ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes! Â»

 

La Croix provoque chez le Christ Lui-mĂŞme, la dĂ©fense de sa mission, qui est croix et sacrifice. Comme il Ă©tait facile de suivre comme Pierre, de fuir comme fuient aujourd’hui de nombreux chrĂ©tiens. Il est très facile de se cacher, « ne crĂ©e pas de conflits, prudence… il faut ĂŞtre plus prudents. Â» Mais le Christ ne fut pas de ce genre. Et Ă  celui qui Lui conseillait de ne pas s’exposer au danger, Il l’appelle Satan, Il le nomme scandale. Scandale est un mot d’origine grecque qui signifie entrave. La pierre qui est mise pour faire obstacle sur le chemin. C’est cela la crise de la vie, comme la crise du marcheur qui va et qui rencontre un obstacle sur son chemin, la tentation de rebrousser chemin, ou la valeur de surmonter l’obstacle.

 

La Croix est toujours un scandale. La Croix provoque toujours des crises. Sinon nous ne voyons pas que saint Pierre est en train de souffrir une crise dans sa foi. Le Christ vient de le dire (Mt 16,17-18) : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette rĂ©vĂ©lation t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien! Moi je te dis : tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Â» Celui qui est prĂ©sentement Ă  Rome, Jean-Paul I, Ă©tait Pierre Ă  ce moment de l’Évangile que nous Ă©tudions prĂ©sentement : le reprĂ©sentant du Christ. Et en cette heure solennelle, alors qu’il reçut cette promesse dirions-nous, d’un dimanche comme celui-ci, il va ĂŞtre couronnĂ© Pape et il sent la tentation de sa foi. Frères, nous ne sommes sĂ»rs de rien, nous vivons tous ces terribles moments de crise, mĂŞme le Pape. C’est pourquoi nous ne devons pas nous Ă©tonner de ces crises de la foi. Pierre eut peur, il voulut conseiller le Christ selon des pensĂ©es d’hommes et non selon celles de Dieu. Il fit pression sur le Christ. Comme sont terribles les pressions lorsqu’on ne veut pas s’écarter de ce que Dieu veut, pour que nous agissions comme les hommes veulent. Mais l’exemple le plus Ă©mouvant ce matin, est celui de la première lecture, celle du prophète JĂ©rĂ©mie (20,7-9). Je ne rencontre pas dans la Bible des phrases qui expriment plus vivement la crise d’un homme dans ses relations avec Dieu.

 

(Jr 20,7-9) : « Tu m’as sĂ©duit, dit-il, YahvĂ©, et je me suis laissĂ© sĂ©duire; tu m’as maĂ®trisĂ©, tu as Ă©tĂ© le plus fort. Je suis prĂ©texte continuel Ă  la moquerie, la fable de tout le monde. Chaque fois que j’ai Ă  parler, je dois crier et proclamer : « Violence et dĂ©vastation! « La parole de YahvĂ© a Ă©tĂ© pour moi source d’opprobre et de moquerie tout le jour. Â» Imaginez frères et sĹ“urs, le tempĂ©rament de JĂ©rĂ©mie, un prophète doux, un prophète plus inclinĂ© Ă  l’amour, un prophète de finesses spirituelles qui reprĂ©sente prĂ©cisĂ©ment, dans l’Ancien Testament, la figure très douce du Christ; donc ce prophète d’amour, de douceur, de tendresse, de bontĂ© est choisi par Dieu pour annoncer Ă  un peuple pĂ©cheur, la destruction, la menace de Dieu s’ils ne se convertissent pas. Et cela lui coĂ»te! (Jr 20,9) : « Je me disais, dit-il, “Je ne penserai plus Ă  lui, je ne parlerai plus en son Nom”; mais c’était en mon cĹ“ur comme un feu dĂ©vorant, enfermĂ© dans mes os. Je m’épuisais Ă  le contenir, mais je n’ai pu. Â» C’est cela la crise du prophète. Il ne voulait pas dire ce qu’il avait Ă  dire, mais Dieu lui ordonne de le faire.

 

Vous voyez que la Croix n’est pas conformisme, elle exige souvent Ă  l’être humain, parfois mĂŞme contre son tempĂ©rament, contre sa façon d’être. C’est ce que le Christ demande Ă  Pierre : ne t’accommode pas, ne t’installe pas, nous allons vers JĂ©rusalem pour souffrir. C’est ce que dĂ©plore le prophète JĂ©rĂ©mie, c’est ce qu’il ressent dans cette mission très difficile et c’est ce que dans cette première rĂ©flexion j’aimerais dire Ă  mes chers chrĂ©tiens : quand le Christ nous dit, non plus Ă  Pierre ou Ă  JĂ©rĂ©mie, ni aux Ă©lus de la Bible, sinon Ă  nous tous… le Peuple de Dieu. Cette page de l’Évangile dĂ©crit les conditions des disciples de JĂ©sus (Mt 16,24-25) : « Si quelqu’un veut venir Ă  ma suite, qu’il se renie lui-mĂŞme, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie Ă  cause de moi la trouvera. Â» Ce sont des paroles qui provoquent des crises. Je suis tĂ©moin de nombreux hommes et de nombreuses femmes qui vivent cette crise prĂ©sentement. Et cela me fait souffrir quand il s’agit de gens qui ont Ă©tĂ© très gĂ©nĂ©reux et très courageux et qui aujourd’hui sont pĂ©trifiĂ©s par la peur. Mais je suis heureux lorsque je m’aperçois que cette crise est utile Ă  plusieurs, comme l’est la crise que provoque une maladie. Celle-ci, disent les mĂ©decins, est ce moment oĂą le malade va se diriger vers la mort ou vers la santĂ©, pour plusieurs cette crise les conduit vers la santĂ© tandis que pour d’autres, c’est une crise de mort.

 

C’est l’Évangile, c’est la Croix! Très chers frères, je vous invite Ă  ce que nous ne vivions pas un christianisme sans Croix. Je vous invite Ă  confronter, avec valeur, la vie de chacun avec la Croix qui me provoque. Et si vraiment, comme dit ce poème du Christ brisĂ© : chaque soir, je m’agenouille au pied du CrucifiĂ© et je Lui embrasse les pieds, non pas d’une façon romantique, superficielle, mais avec un baisĂ© de conviction pour Lui dire que je suis disposĂ© Ă  L’aimer mĂŞme s’il me faut pour cela mourir avec Lui, crucifiĂ©. Que tu veuilles embrasser ses pieds quand ce Christ reprĂ©sente peut-ĂŞtre ton pire ennemi et que tu doives lui pardonner. C’est difficile. Nous provoquons ces crises pour que resurgisse un christianisme authentique.

 

Vous savez bien comment les orfèvres Ă©prouvent l’authenticitĂ© de l’or et de l’argent. Ils ont une pierre de touche, ils frappent le mĂ©tal contre cette pierre et au son ils peuvent calculer ses carats. La Croix est une pierre de touche. Frappons notre vie contre la Croix et Ă©coutons comment elle rĂ©sonne. Elle sonne comme de la lâchetĂ©, avec de la peur, elle sonne selon les pensĂ©es des humains et non selon celles de Dieu. La Croix est l’épreuve authentique de celui qui dĂ©sire suivre le Christ, c’est pourquoi le Seigneur dit : « Que celui qui dĂ©sire me suivre se charge de sa croix. Â» 03/09/78, p.160-163, V.

 

 

2) Seule la Croix peut donner sens Ă  la vie

 

Le christianisme n’est pas du masochisme, cette philosophie qui enseigne qu’il faut souffrir pour souffrir. Non! Dieu ne nous a pas fait pour la souffrance! Dieu a voulu nous faire pour le bonheur. Ainsi comme la mère aime son fils qui doit ĂŞtre opĂ©rĂ©, elle sait la douleur qu’implique cette opĂ©ration, mais pour le bien de son enfant, elle l’y soumet. Elle dit au mĂ©decin : faites ce que vous pouvez et elle ressent la douleur, mais son fils est sauvĂ© parce que l’opĂ©ration Ă©tait nĂ©cessaire. Il en est de mĂŞme lorsque le Christ annonce sa passion : « Et le troisième jour Il ressuscitera. Â» Quelle promesse plus belle sur le calvaire et sur la Croix! Ressusciter est le destin de l’être humain, mais comme il appartient Ă  une race pĂ©cheresse, qu’il a offensĂ© Dieu, il a besoin pour parvenir Ă  la RĂ©surrection, de passer par le creuset de la Croix et de la souffrance. Et si nous endurons l’épreuve de la Croix avec le Christ, dit saint Paul, avec Lui nous ressusciterons!

 

Porter la Croix signifie ceci : suivre JĂ©sus, sauver la vie, et parvenir Ă  la rĂ©compense glorieuse. Il y a une phrase paradoxale dans l’Évangile d’aujourd’hui (cf. Mt 16,25) : « Celui qui dĂ©sire sauver sa vie la perdra et celui qui perdra sa vie Ă  cause de moi se sauvera! Â» Qu’est-ce que peut bien vouloir dire ce jeu de mots? Mais la philosophie du christianisme est davantage qu’un jeu de mots. Celui qui veut ĂŞtre bien, qui rejette les souffrances de la vie, celui qui veut sauver sa vie prĂ©sente perdra la vie Ă©ternelle. Et plus encore, dĂ©jĂ  dans l’histoire prĂ©sente, personne n’est aussi heureux qui peut dire au Christ sa loyautĂ©, son altruisme et sa gĂ©nĂ©rositĂ©. Nul n’est autant libre, nul n’a rencontrĂ© une vie aussi remplie que celui qui n’a pas peur de la perdre pour le Christ. Celui qui a peur de la perdre n’est pas libre, il vit dans la crainte, il est conditionnĂ©. Ah! J’ai ce problème. Ah! Je dois faire cela. Ici, la Croix est rĂ©solue par la nĂ©gative, mais elle seule peut donner un sens Ă  la vie.

 

Je voudrais me concentrer plus particulièrement sur le sens divin que saint Paul mentionne aujourd’hui dans son Ă©pĂ®tre aux Romains (12,1-2), quand il dit que la vie du chrĂ©tien, le corps du chrĂ©tien doit ĂŞtre devant Dieu comme une hostie vivante, agrĂ©able Ă  Dieu. Observez qu’ici la Bible donne Ă  notre corps, Ă  notre vie, un sens d’hostie, un sens d’holocauste, un sens divin que chacun possède, mĂŞme le plus humble. Et je voudrais que cette parole soit entendue de tous ceux qui m’écoutent, quelles que soient les circonstances oĂą ils m’entendent Ă  la radio, certains malades qui dĂ©sespèrent dans leurs douleurs, peut-ĂŞtre un pauvre qui ne rĂ©ussit pas Ă  trouver du travail et qui n’a rien Ă  manger, ou encore, un autre qui travaille et que le travail ne nourrit pas, un autre qui a trop et qui est Ă©goĂŻste… Je ne sais pas qui m’écoute actuellement. J’aimerais remercier l’attention de ceux qui se trouvent dans la cathĂ©drale ce matin. Et je vous dis Ă  tous, très chers frères dans la foi, que si tout cela existe : la souffrance, la pauvretĂ©, le travail, les dettes, peu importe ce dont il s’agit, nous l’offrons Ă  Dieu, pour le remercier, pour faire sa volontĂ©, nous sommes des hosties agrĂ©ables Ă  Dieu, victimes de cette douce odeur qui s’élève sur l’autel du Père.

 

Alors que nous nous retrouvons Ă  un moment de l’histoire de l’Église, de la vie et de la mort d’un pontife, je veux rappeler ces paroles immortelles de Jean XXIII, lorsque son mĂ©decin lui dit que sa maladie Ă©tait grave et qu’il devait s’étendre. Cet ancien rĂ©pondit : « Le lit aussi est un autel et il a besoin d’une victime pour l’offrir Ă  Dieu. C’est ce que je suis maintenant, cette victime de l’autel du lit.» C’est comme cela qu’il mourut, presque Ă  la vue de tous. Je n’ai jamais vu une mort plus publique que celle qui nous Ă©tait relatĂ©e minute après minute, la vie qui Ă©tait en train de s’éteindre, l’hostie qui Ă©tait en train de se consommer. Comme apparaĂ®t beau ce corps en ces derniers moments, mĂŞme s’il s’agit d’un obèse comme l’était celui du pape Jean XXIII, mais converti en hostie agrĂ©able par ce bel esprit que renfermait ce corps, par l’idĂ©ologie chrĂ©tienne qu’il avait donnĂ©e Ă  toute sa vie. Il n’y a pas de corps sans valeur pour le Seigneur.

Malheureusement, ici aussi nous pouvons dire comme le Christ Ă  de nombreux hommes et Ă  de nombreuses femmes : tu penses selon les hommes et non selon Dieu. Tu regardes avec des regards de concupiscence vicieuse et non avec des yeux d’élĂ©vation. Mais si nous regardons tous les corps, du plus beau au plus misĂ©rable, au plus rĂ©pugnant, dirions-nous comme saint Paul : tout corps est une hostie quand il vit dans l’offrande Ă  Dieu, ses Ă©nergies, sa voix, son chemin, ses mains, son intelligence, sa profession et son travail, tout pour la gloire de Dieu, c’est la Croix, c’est la gloire de Dieu dans la vie.

 

Le baptĂŞme, très chers frères, nous identifie avec cette beautĂ© de notre Christ. Le Concile Vatican II dit, en parlant prĂ©cisĂ©ment de vous, les laĂŻcs (L.G. 10) : « En effet, par la rĂ©gĂ©nĂ©ration et l’onction de l’Esprit saint, les baptisĂ©s sont consacrĂ©s pour ĂŞtre une maison spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, moyennant toutes les Ĺ“uvres du chrĂ©tien, et d’annoncer les louanges de Celui qui les a appelĂ©s des tĂ©nèbres Ă  son admirable lumière. Que tous les disciples du Christ, en persĂ©vĂ©rant dans la prière et en louant Dieu ensemble, s’offrent donc eux-mĂŞmes comme une hostie vivante, sainte et agrĂ©able Ă  Dieu, qu’ils rendent partout tĂ©moignage au Christ et, Ă  qui le demande, rendent compte de l’espĂ©rance de la vie Ă©ternelle qui est en eux. Â» Il s’agit d’une invitation et puissent mes paroles rencontrer cet Ă©cho que je vous souhaite ce matin, de donner Ă  la vie de tous et chacun, ce sens divin de la Croix. Embrassons avec courage la Croix de notre devoir et remplissons nos obligations, aussi routières qu’elles soient, non pas uniquement pour gagner un salaire, des applaudissements, tout cela demeure sur la Terre. La finalitĂ© de notre vie est la gloire de Dieu. Aussi humble que soit une vie, cela la rend glorieuse. 03/09/78, p.163-165, V.

 

 

3) Sans la Croix la vie est un Ă©chec

 

Qu’est-ce que signifie le refus de la Croix? Qu’est-ce que l’échec de la vie? Saint Paul dans la seconde lecture d’aujourd’hui (Rm 12,2) nous dit : « Ne vous modelez pas sur le monde prĂ©sent, mais que le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volontĂ© de Dieu, et ce qui est bon, ce qui lui plaĂ®t, ce qui est parfait. Â» Cela serait rejeter la Croix, se conformer Ă  ce monde, vivre selon le monde et non selon l’Évangile. Le monde dit que l’argent est le bonheur et le Christ dit : Bienheureux les pauvres d’esprit! Le Christ dit qu’il faut pardonner et le monde dit l’adage paĂŻen : Ĺ’il pour Ĺ“il, dent pour dent, vengeance, violence et haine. Ne vous satisfaites pas de la pensĂ©e du monde parce qu’ici nous pourrions dĂ©crire Ă  l’infini ces deux lignes de pensĂ©e qui chaque fois s’éloigne l’une de l’autre. La ligne de la conformitĂ© Ă  la volontĂ© de Dieu et celle qui veut ĂŞtre conforme Ă  ce monde.

 

Pauvres de vous qui enfoncez chaque jour davantage votre pensĂ©e et vos critères avec la vision de ce monde. Le plaisir de la chair, le vice, les drogues, la prostitution, l’argent, le vol, les enlèvements, tout ceci sont les chemins de ce monde. Ne faites pas correspondre votre vie avec la pensĂ©e du monde. C’est ce que le Christ dit autrement Ă  Pierre : « Tu penses comme les hommes et non comme Dieu. Â» C’est cela la grande tâche de l’évangĂ©lisation, transformer la pensĂ©e des hommes en la pensĂ©e de Dieu. Pour moi ce matin, cela est prĂ©cieux parce que c’est ce que je m’efforce d’accomplir : transformer la mentalitĂ© humaine en celle de Dieu.

 

Une autre phrase du Christ dit la mĂŞme chose : vouloir sauver sa vie, c’est aussi refuser la Croix. On ne peut sauver sa vie sans courir le risque de la perdre pour toujours. C’est pourquoi l’Évangile se termine par cette phrase qui a converti tant de pĂ©cheurs et les a rendus saints : « Ă€ quoi servirait-il Ă  un homme de gagner le monde si Ă  la fin il perd sa vie! Â» C’est une lĂ©gende, mais plusieurs croient que certaines personnes ont fait un pacte avec le diable. C’est lorsque tout rĂ©ussit Ă  quelqu’un, ils disent que le diable lui vient en aide et qu’après il emportera son âme. Cela n’est pas une vĂ©ritĂ© de foi, mais il est certain que pour plusieurs, seul importe d’accumuler les biens de ce monde et pour cela ils risquent de perdre la vie. C’est ce que nous pouvons souvent observer. Certains reçoivent de grands hĂ©ritages, les hĂ©ritiers qui recueillent sans effort ce qui a Ă©tĂ© accumulĂ© par d’autres, dilapident leur fortune si bien qu’à la fin nous pouvons dire que l’argent Ă©galement est sacrĂ© et qu’il faut savoir le mettre au service de la volontĂ© de Dieu.

 

C’est pourquoi très chers frères, cela marque aussi la vie de l’Église. Lisez le commencement de la pensĂ©e du Concile : « Cette Église, n’est pas une chose abstraite, c’est nous qui la formons, nous sommes l’Église, dans la mesure oĂą nous vivons cette Croix, nous Ă©levons l’Église et dans la mesure oĂą nous nous Ă©loignons de cette Croix – nous les chrĂ©tiens – dans cette mesure, nous l’évacuons, nous laissons l’Église sans sens. C’est lĂ  ma principale prĂ©occupation, de vouloir construire avec le Christ, une Église selon son cĹ“ur. Les autres choses, ce qui va suivre maintenant : les Ă©vĂ©nements de la rĂ©alitĂ© qui sont illuminĂ©s par l’Église, sont des choses accidentelles qui passent, elles font partie de l’histoire de cette semaine.

 

C’est pourquoi je vous supplie que, à l’intérieur de mes homélies, davantage que ce genre de radio-journal que la fonction prophétique de l’Église m’oblige à réaliser, vous sachiez reconnaître les efforts de ce pauvre pasteur qui s’efforce de construire une Église selon le cœur de Dieu. C’est cela l’affirmation que je répète et que je ne voudrais pas que vous confondiez, à savoir, ce qu’est l’Église véritable de la croix du Christ, avec une espèce d’opposition politique, avec une espèce de fantaisie pour gagner la renommée ou pour être opportuniste. Cela m’attriste, Seigneur, d’avoir à dire ces choses, mais si ces événements se produisent, ils m’obligent à dénoncer les péchés du monde, pour les détruire comme Tu veux que le Peuple de Dieu les détruise. 03/09/78, p.165-166, V.