Le Mystère pascal

 

Troisième dimanche de Pâques; 9 avril 1978; Lectures : Actes 2,14.22-28; I Pierre 7,17-21; Luc 24,13-35.

 

 

L’Année liturgique

 

Il se peut qu’il y ait des déficiences humaines, mais ce qui importe malgré cela, c’est le message qui illumine cette réalité. Si cette année liturgique n’illuminait jamais notre réalité, elle serait comme une ligne parallèle qui ne rencontrera jamais la vie. À partir de là, nous pouvons dire que l’homélie est déjà une parole consacrée pour expliquer. Le célébrant doit appliquer les lectures de la Parole aux situations concrètes de l’assemblée qui se réunit pour leur dire, ce ne sont pas des considérations historiques, il s’agit de notre réalité présente. Cette Parole qui a été lue, même si elle fut écrite il y a plusieurs siècles, est une Parole d’un Dieu éternel qui parle aujourd’hui, ici, à ses Salvadoriens réunis dans la cathédrale ou autour d’un poste de radio pour prendre part à cette réflexion. 09/04/78, p.143, IV.

 

Je crois que l’intérêt que suscite la prédication, de nos jours, est que nous parlons de l’amour véritable, du pardon, de la justice et de la paix. Non pas une paix gagnée à coups de répression, la paix des cimetières, mais une paix solide qui se fonde sur les bases de la justice et de l’amour. C’est pourquoi nous affirmons que la paix que nous prêchons ici est la paix du Christ, celle dont Il a dit qu’elle sème la division. La paix véritable sème la division parce que ce n’est pas tout le monde qui comprend la profondeur de la justice où se situent les racines de la paix. Certains préféreraient entendre une prédication douce qui n’offense pas et qui parle d’une fausse paix. 09/04/78, p.147, IV.

 

Le Concile Vatican II ne peut pas être compris si on n’a pas une idée de ce qu’est le mystère pascal qui donne son origine et son style à l’Église de tous les temps. L’Église n’est rien d’autre qu’une messagère du mystère pascal.

 

 

1) Qu’est-ce que le Mystère Pascal?

 

Le Concile le dĂ©finit ainsi : « Le Christ, Notre Seigneur, mena Ă  terme l’œuvre de la RĂ©demption des hommes et de la parfaite glorification de Dieu que prĂ©figurèrent les prodiges du peuple de l’Ancien Testament. Cette Ĺ“uvre, le Christ la mena Ă  terme principalement par le mystère pascal de sa bienheureuse Passion, RĂ©surrection d’entre les morts et par sa glorieuse Ascension. Par ce mystère pascal, en mourant, Il dĂ©truisit notre mort et en ressuscitant Il renouvela la vie, puisque, du cĂ´tĂ© du Christ sur la croix, est nĂ© l’admirable sacrement de toute l’Église. […] Ces deux aspects du Christ, souffrant et mourant pour dĂ©truire notre mort et nos pĂ©chĂ©s, et ressuscitant et montant au ciel pour nous rendre la vie et nous ouvrir les portes de l’espĂ©rance, c’est ce que nous appelons le Mystère Pascal. 09/04/78, p.149-150, IV

 

 

Pourquoi l’appelons-nous le Mystère Pascal?

 

Parce que cette Ĺ“uvre fut rĂ©alisĂ©e par le Christ au moment de la Pâque. Observez comment fut cette Pâque que le Christ nomma : « Son heure. Â» Â« Mon heure s’approche, l’heure oĂą le Fils de l’Homme sera glorifiĂ©. Â» Â« La Pâque. Â»  Et quand arriva l’heure, il envoya ses disciples prĂ©parer la Pâque Ă  JĂ©rusalem.

En second lieu, on appelle pascal ce mystère du Christ parce que cette cène fut sa dernière Pâque et depuis que Jean Baptiste le prĂ©senta au monde comme Ă©tant l’Agneau Pascal, Il est l’Agneau qui est immolĂ© Ă  la Pâque et que les IsraĂ©lites mangent pour symboliser la protection de Dieu, leur sacrifice Ă  Dieu. Ce Jeudi saint, quand toutes les familles d’HĂ©breux mangeaient l’agneau pascal, le Christ aussi, avec ses disciples, mangea un agneau. Ă€ ce moment le Christ pensait qu’Il allait terminer sa mission : « Demain, Je serai clouĂ© sur la croix, l’Agneau sanglant qui enlève les pĂ©chĂ©s du monde. Â»

 

Agneau Pascal!

 

En troisième lieu, nous appelons ce mystère de la RĂ©demption le mystère pascal parce que ce repas du Jeudi saint servit au Christ pour unir la Pâque de l’Ancien Testament avec celle des chrĂ©tiens. Aujourd’hui, par exemple, nous cĂ©lĂ©brons la messe, cet autel est celui de la Pâque oĂą sont immolĂ©s le Corps et le Sang du Seigneur. Il est l’Agneau et j’ai l’honneur de vous le signaler dans l’hostie lorsque je vais dire : « Voici l’Agneau de Dieu, Celui qui enlève les pĂ©chĂ©s du monde. Â» « Prenez et mangez Â», dit le Christ. Ceci est la Pâque par laquelle est immolĂ© avec le sang divin, l’Agneau qui enlève les pĂ©chĂ©s du monde. […]

 

La messe de chaque dimanche, la messe de nos défunts, la messe de la première communion, la messe du mariage, la messe pour demander lumière et consolation au Seigneur, est le sacrifice du Christ, c’est le repas du Seigneur qui se fait Pâques en toutes les circonstances de la vie. C’est pourquoi le Concile conseille qu’on ne donne pas ce ton sombre aux messes des défunts, comme si tout était terminé, mais qu’on leur donne plutôt un sens pascal. La messe du défunt peut très bien être présentée avec des vêtements blancs et des chants d’alléluia, parce que même si la famille éprouvée pleure, ces larmes sont illuminées par la Pâque du Christ. 09/04/78, p.150-151, IV.

 

 

2) La Pâque de l’Ancien Testament, la Pâque que le Christ recueillie

 

Les historiens ont dĂ©couvert que la Pâque des juifs possède une origine naturelle plus ancienne que celle du peuple d’IsraĂ«l. Il s’agit probablement d’une fĂŞte qui avait lieu Ă  la pleine lune qui suivait l’équinoxe du printemps. Cette pleine lune de la Semaine sainte servait aux bergers pour chanter leur joie de savoir que les froids de l’hiver Ă©taient passĂ©s et pour cĂ©lĂ©brer l’arrivĂ©e du printemps. Pâque signifie « passage Â», le passage de l’hiver au printemps qui Ă©tait cĂ©lĂ©brĂ© par une nuit de pleine lune parce qu’on allait Ă©migrer du dĂ©sert vers les pâturages.

 

Même lors de la période agricole d’Israël, ces coutumes prévalaient. Elles avaient cours à la même époque que cette autre fête, la fête des azymes, que le Christ célébra également. Les agriculteurs recueillaient alors la récolte de blé et pour signifier le passage de la vieille récolte à la nouvelle, on mangeait du pain sans levain, constitué uniquement de blé nouveau pour rendre grâce à Dieu. C’est là l’origine de cette fête des azymes, du passage du vieux au nouveau, du passage de l’ancienne à la nouvelle récolte.

 

Ainsi, ce concept de Pâque fut assumĂ© par l’IsraĂ«l naissant en Égypte, lorsque Dieu rĂ©vĂ©la au peuple persĂ©cutĂ© et opprimĂ© qu’en cette nuit qui Ă©tait aussi une nuit de pleine lune du printemps, Il passerait avec son ange. LĂ  oĂą les portes seraient marquĂ©es du sang de l’agneau qu’avaient mangĂ© les familles israĂ©lites, nul ne pĂ©rirait, mais les portes des Égyptiens qui Ă©taient sans cette protection du sang virent mourir avec angoisse tous leurs premiers-nĂ©s. En cette nuit d’extermination passa Dieu, la Pâque de Dieu, le passage de Dieu. Comme est terrible le passage de la justice de Dieu qui vient remettre Ă  sa place ce peuple oppresseur, ingrat envers les pèlerins d’IsraĂ«l! Tous les premiers-nĂ©s d’Égypte moururent. Par contre, les familles marquĂ©es du sang de l’agneau mangèrent leur Pâque, revĂŞtues de leurs habits de pèlerins parce qu’en cette nuit dĂ©buta l’Exode. La Pâque, c’est l’Exode, la sortie d’un peuple qui est retenu captif, en esclavage, «vers une terre que Je vous montrerai. Â» Et ils partirent. « Cette nuit sera cĂ©lĂ©brĂ©e, leur commanda MoĂŻse, toutes les annĂ©es de l’histoire. Â»

 

Cela signifiait donc une nuit de libĂ©ration : le passage de l’esclavage Ă  la libertĂ©, le passage de l’oppression Ă  une terre promise, mais aussi le passage de la mer Rouge qui allait confirmer par un miracle stupĂ©fiant, le passage du peuple d’IsraĂ«l oĂą demeura englouti l’armĂ©e des Égyptiens. Le passage fut cĂ©lĂ©brĂ© lorsque le peuple pèlerin parvint Ă  Guilgal et rĂ©alisa son premier sacrifice en terre promise. Quelle joie, quelle gratitude! Depuis lors, Pâque est cĂ©lĂ©brĂ© Ă  chaque annĂ©e comme une fĂŞte d’indĂ©pendance, comme une fĂŞte du passage de l’esclavage au Salut, une fĂŞte de vie, une fĂŞte oĂą on reconnaissait le Dieu Sauveur qui agit au moyen de l’instrument que fut MoĂŻse. C’était une fĂŞte d’Action de grâce Ă  laquelle s’unirent d’autres Ă©lĂ©ments bibliques, par exemple : la crĂ©ation de l’homme, l’Alliance, le sacrifice d’Isaac.

 

Tout cela venait l’enrichir comme une rivière qui naît petite et qui devient un torrent à la plénitude des temps. Quand le Christ célébra la Pâque avec ses disciples, c’était toute cette histoire qui était commémorée. Nous comprenons maintenant le sens des lectures d’aujourd’hui (Ac 2,14.22-28; I Pie 1,17-21; Lc 24,13-35). La Pâque chrétienne, la Pâque que le Christ célébra en assumant tous ces vieux symboles de l’Ancien Testament pour les remplir de sa réalité rédemptrice qu’Il allait réaliser par sa mort, sa résurrection et son ascension au ciel.

 

Pâques, c’est ce mystère du Christ parce que dans ce Christ mort pour nous, ressuscité pour nous, vivant éternellement pour nous, nous voyons le style de notre Église. Le catholique qui n’a aucune idée de ce qu’est le Mystère pascal ne peut pas connaître son Église. C’est pourquoi j’ai voulu qu’en cette ambiance de Pâques de 1978, vécue au Salvador d’une manière similaire aux Israélites en Égypte, nous nous souvenions que Dieu marche avec nous. 09/04/78, p. 151-153, IV.

 

 

3) Quelle est la signification pour les chrétiens des Pâques que le Christ nous laissa?

 

Les Pâques chrĂ©tiennes possèdent ces quatre caractĂ©ristiques :

 

1. Des Pâques qui sont la cause de notre Salut, des Pâques libératrices.

2. Des Pâques sacramentelles, signe qui renferme et occulte des réalités divines que nous ne voyons pas.

3. Des Pâques ecclésiales, des Pâques communautaires que nous ne devons pas vivre individuellement, mais en peuple, en commun.

4. Des Pâques eschatologiques, des Pâques que nous espérons.

 

Qu’est-ce que cela veut dire? C’est ce que nous dit aujourd’hui saint Pierre dans le premier sermon du christianisme : « Il a rompu les liens de la mort. Â» Ou lorsqu’il dit dans son Ă©pĂ®tre d’aujourd’hui : « Il nous a rachetĂ©s. Â» Mais de quoi nous a-t-il rachetĂ©s? Il nous a rachetĂ© de la vie stĂ©rile. Comme il est dit dans la Première Ă©pĂ®tre de Pierre (1,18-19) : « Vous connaissez le prix payĂ© pour vous libĂ©rer de la vie stĂ©rile que vous meniez Ă  l’image de vos pères; votre libertĂ© n’a pas Ă©tĂ© achetĂ©e par de l’or ou de l’argent, substances pĂ©rissables, mais par le PrĂ©cieux Sang du Christ, Agneau sans tache et sans dĂ©faut. Â» C’est cela, la RĂ©demption, un rachat qui ne se paye ni avec l’or et l’argent!

 

C’est pourquoi, si nous nous concentrons maintenant sur l’Évangile de Luc 24,21, les disciples dĂ©couragĂ©s et dĂ©sillusionnĂ©s qui marchaient sur le chemin d’EmmaĂĽs et disaient : « Nous espĂ©rions, nous, qu’Il serait le LibĂ©rateur attendu d’IsraĂ«l, mais trois jours sont passĂ©s depuis lors. Â» C’est cela la dĂ©sillusion lorsqu’on ne recherche que des libĂ©rations temporelles. Frères, je dĂ©sire insister beaucoup sur ce point, parce qu’on m’accuse de prĂŞcher une libĂ©ration rĂ©volutionnaire sur cette terre. Personne ne croit ces balivernes, mais je veux confirmer une fois encore que la libĂ©ration que j’annonce n’en est pas une qui conduit Ă  la dĂ©sillusion des disciples d’EmmaĂĽs. Ces mĂŞmes apĂ´tres lorsqu’ils assistèrent Ă  l’Ascension demandèrent au Christ : (Ac 1,6) « Seigneur, le temps est-il venu oĂą tu vas rĂ©tablir la royautĂ© en IsraĂ«l? Â» Il s’agissait d’une espĂ©rance politique, un espoir terrestre et myope, sans horizon. C’est l’espĂ©rance que possèdent de nombreux mouvements de libĂ©ration de notre temps, ceux qui n’espèrent pas avec l’espĂ©rance chrĂ©tienne, mais qui croient qu’ils vont tout rĂ©soudre par la force de la violence, de la haine, de la lutte des classes. Cela n’est pas la libĂ©ration du Christ, cela ne peut pas ĂŞtre la libĂ©ration de l’Église.

 

Ă€ ces disciples qui avaient cette illusion tronquĂ©e, le Christ dit : (Lc 24,25) « InsensĂ©s! Ă” cĹ“urs trop lents Ă  croire tout ce qu’ont annoncĂ© les prophètes. Â» Un chrĂ©tien ne peut pas oublier que les vĂ©ritables Pâques qu’il cĂ©lèbre tous les dimanches dans sa messe, que la vĂ©ritable espĂ©rance que, comme chrĂ©tien, il abrite dans son cĹ“ur, est une libĂ©ration du pĂ©chĂ©, une libĂ©ration qui nous fait vĂ©ritablement rompre les chaĂ®nes qui nous retiennent intimement. Cette espĂ©rance nous assure Ă©galement de rompre les chaĂ®nes de la mort et de l’enfer et d’avoir la sainte libertĂ© que possèdent les enfants de Dieu. Il n’y a pas d’hommes plus libres que celui qui s’est libĂ©rĂ© du pĂ©chĂ©, de la peur de la mort et de l’enfer parce qu’il sait qu’il aime Dieu et qu’il suit le Christ qui est vivant et qui lui donnera la vĂ©ritable libĂ©ration.

 

La vĂ©ritable libĂ©ration est celle que le Christ commença Ă  dĂ©crire aux disciples d’EmmaĂĽs : (Lc 24,26-27) « Le Christ devait souffrir pour entrer dans sa gloire. Puis Ă  partir des prophètes Ă  commencer par MoĂŻse, il leur explique tout ce qui a Ă©tĂ© Ă©crit Ă  son sujet. Â»

 

La RĂ©demption, la libĂ©ration que l’Église prĂŞche et espère, n’est pas une libĂ©ration qui conduit Ă  la dĂ©sillusion. MĂŞme lorsque les choses vont mal, mĂŞme lorsqu’il faut mourir sur une croix, mĂŞme lorsqu’on doit ĂŞtre torturĂ© et mourir dans l’indignitĂ© de ceux dont on ne veut pas entendre le cri de la vĂ©ritable libĂ©ration, ce sont lĂ  des Ă©pisodes de guerre oĂą le Christ sauve le monde. N’oublions pas, frères, que la libĂ©ration est encore en train de se rĂ©aliser et c’est pourquoi nous mourons toujours, c’est pour cela qu’il existe des cimetières. Si le Christ a triomphĂ© de la mort pourquoi est-ce que nous mourons? Parce que la RĂ©demption n’est pas encore achevĂ©e. Et saint Paul le dit : « La dernière ennemie du Christ Ă  ĂŞtre vaincue sera la mort. Â» C’est ce que nous a dit Ă©galement saint Pierre dans son Ă©pĂ®tre d’aujourd’hui (I P 1, 17-21) lorsqu’il parle de l’agneau qui fut immolé…

 

Quand on inaugure un Ă©difice, nous ne voulons pas ĂŞtre déçus en le voyant entourĂ© d’échafaudages et de dĂ©chets de construction. Au jour de l’inauguration, nous enlèverons donc les Ă©chafaudages et nous nettoierons bien afin de mettre en valeur cette belle construction. Il en est de mĂŞme de la libĂ©ration du Christ : maintenant, nous travaillons, c’est pourquoi il demeure ce dĂ©chet qu’est la mort, qu’il y a ces Ă©chafaudages imparfaits, qu’il existe, au cĹ“ur mĂŞme de l’Église des dĂ©ficiences et des pĂ©chĂ©s, parce que cela n’est pas encore l’Église triomphante du ciel, c’est celle qui est encore en train de se faire parmi des hommes pĂ©cheurs, envieux et mesquins, comme nous sommes tous. Elle travaille Ă  la RĂ©demption.

 

C’est pourquoi il ne faut pas espérer un paradis, une Rédemption qui ne serait le fait que de l’effort humain et des idéologies de la terre. L’Église ne peut pas être communiste, l’Église ne peut pas être libératrice au sens des libérations terrestres seulement. Elle les inspire, oui, parce qu’elle porte une espérance qui est la force qui peut rendre efficaces toutes les libérations si elles veulent être chrétiennes. 09/04/78, p.153-154, IV.

 

 

Des Pâques sacramentelles

 

Nous disons que nos Pâques sont sacramentelles, c’est-Ă -dire qu’elles sont un sacrement. Le sacrement est un signe sensible qui rĂ©vèle une grâce invisible. Nous allons recevoir la communion, un sacrement, je sens qu’il a la saveur du pain, mais ma foi dĂ©couvre qu’en ce signe du pain le Christ est prĂ©sent. Je vais Ă©lever une hostie de pain, mais elle est dĂ©jĂ  convertie en corps du Christ et nous l’adorons tous parce que nous savons que c’est lĂ  qu’Il se cache sous le signe du pain et du vin, la prĂ©sence mĂŞme de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ. Cela veut dire, frères, que toute cette force libĂ©ratrice du Christ sur le Calvaire, ressuscitant et montant au ciel, est avec son Église. Je vous ai lu au dĂ©but de l’homĂ©lie, cette prĂ©cieuse pensĂ©e du Concile quand il dit que : « Du cĂ´tĂ© du Christ endormi, naquit l’admirable sacrement de l’Église. Â»

 

L’Église est un grand sacrement, elle est la présence du Christ dans le monde. Vous et moi, frères, soyons saints, faisons transparaître la présence du Christ libérateur en ce monde. C’est cela être sacrement. Sacrement, également, parce qu’en chaque sacrement que l’Église donne, le Christ est présent avec toute sa force, avec toute sa vie divine, cela veut dire que le ciel est déjà présent sur cette terre, que le Règne des cieux est déjà au milieu de nous. Tous ceux qui croient dans la vie sacramentelle de l’Église, tous ceux qui conduisent un enfant au baptême, qui se confessent pour recevoir le pardon de leurs péchés, tous ceux qui viennent à la messe avec une foi et une espérance qui s’appuient sur le Christ, sentent que le Christ ressuscité et glorieux vit ici dans cette Église et qu’Il continue de pardonner, de triompher de la mort et de travailler à la grande libération des hommes.

 

Ce passage de l’Évangile est typique. Le Christ marche avec les disciples sur le chemin d’EmmaĂĽs et ceux-ci s’étonnent de son ignorance des derniers Ă©vĂ©nements. (Lc 24,18-19.21-23) : « Tu es bien le seul homme, sĂ©journant Ă  JĂ©rusalem, Ă  ignorer ce qui est arrivĂ© ces jours-ci. Â» « Quoi donc? Â», demanda-t-il. « Ce qui est advenu Ă  JĂ©sus le NazarĂ©en, qui, puissant par ses actes et ses paroles, s’était montrĂ© un grand prophète. Nous espĂ©rions, nous, qu’il serait le libĂ©rateur d’IsraĂ«l attendu, mais trois jours sont passĂ©s depuis lors. Quelques femmes qui sont des nĂ´tres nous ont, il est vrai, stupĂ©fiĂ©s. S’étant rendues au tombeau tĂ´t le matin, elles n’ont pas trouvĂ© son corps. Â» C’est cela le calcul humain lorsque nous perdons de vue le Christ cachĂ© sous les traits de ce pèlerin! C’est pourquoi lorsqu’ils parvinrent Ă  la ville d’EmmaĂĽs, celui-ci leur dit : « Merci pour votre compagnie, mais je dois poursuivre ma route. Â» Et ceux-ci lui disent : « Demeure avec nous, Seigneur, ne vois-tu pas qu’il se fait dĂ©jĂ  tard. Â» Il les avait gagnĂ©s. Et quand ils prĂ©parèrent le repas et s’assirent pour manger, JĂ©sus rompit le pain et ils Le reconnurent, mais Ă  ce moment Il disparut. Et alors vient ce commentaire (Lc 24,32) : « Est-ce qu’un feu ne brĂ»lait pas dans notre cĹ“ur tandis qu’Il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures? Â» Et ils coururent Ă  JĂ©rusalem pour rejoindre la communautĂ©.

 

C’est cela le sacrement. C’est pourquoi, frères, nous sommes conscients qu’il nous faut recevoir les sacrements avec davantage de connaissances. Cela ne vaut rien d’amener un enfant pour qu’il reçoive la confirmation s’il ignore totalement ce dont il s’agit. Ou encore faire un baptĂŞme seulement pour faire une fĂŞte, sans savoir ce que reprĂ©sente ce sacrement. Le Christ passe vĂŞtu comme un pèlerin et nous ne le reconnaissons pas, comme cette belle chanson qui dit : « Je suis le Seigneur et vous ne me connaissez pas, Je suis votre Dieu qui est prĂ©sent dans la messe du dimanche que vous abhorrez. Â» C’est lĂ  la raison pour laquelle nous ne sommes pas catholiques ni ne participons des sacrements, parce que nous sommes comme ces pèlerins d’EmmaĂĽs qui marchent avec Lui sans le reconnaĂ®tre. Connaissons-le, il n’est pas nĂ©cessaire de le voir.

« Bienheureux celui qui croira sans avoir vu! Â» a dit le Christ Ă  Thomas dimanche dernier. Il fait maintenant la leçon Ă  ces deux disciples en disparaissant au moment oĂą ils le reconnaissent. Il n’aime pas ĂŞtre visible tant que dure cette vie qui doit en ĂŞtre une de foi et d’espĂ©rance. 09/04/78, p.155-156, IV.

 

 

Des Pâques communautaires

 

C’est pourquoi, frères, la troisième caractĂ©ristique de nos Pâques est d’être communautaire. Depuis que MoĂŻse donna l’ordre : « Que chaque famille tue un agneau et que si la famille est petite, elle doit appeler ses voisins pour partager la Pâque. Â» C’est depuis lors que cette fĂŞte de famille passa Ă  ĂŞtre une fĂŞte de la Patrie, de telle sorte que pour Pâques, mĂŞme aujourd’hui, les Juifs de diffĂ©rents points du monde s’efforcent d’être Ă  JĂ©rusalem pour cĂ©lĂ©brer Pâques dans un sens patriotique. Comme si le 15 septembre nous nous efforcions de venir d’oĂą nous habitons pour cĂ©lĂ©brer ensemble la fĂŞte de notre indĂ©pendance. 09/04/78, p.156, IV.

 

 

Des Pâques eschatologiques

 

Et finalement, frères, les Pâques des chrétiens sont des Pâques eschatologiques. Est eschatologique l’avènement du Salut final, à la fin des temps. Saint Pierre nous a dit aujourd’hui que le Christ était l’Agneau prévu depuis le commencement des temps et qui viendrait se manifester à la fin des temps. Entre cet agneau annoncé depuis le commencement des temps et celui qui viendra comme juge de l’Histoire à la fin des temps, se situe l’histoire que nous tissons. C’est pour cela que les hommes qui vivent dans l’histoire doivent partir de cet Agneau qui vécut avant l’histoire et qui demeure comme but de celle-ci. Ne perdons pas de vue cette perspective lorsque nous luttons pour des améliorations de nos conditions de vie sans tenir compte de ces horizons eschatologiques.

 

Tant que nous avons la foi et l’espĂ©rance dans ce Christ qui doit revenir, en cet au-delĂ  qui se situe après nos Ă©checs, notre mort et nos difficultĂ©s, nous garderons cette perspective, celle de l’Église de Pâques, de l’Église de l’espĂ©rance. Et l’Évangile nous indique Ă©galement ce sens eschatologique (Lc 24,25) : « Sots, insensĂ©s! Ne devait-Il pas souffrir tout cela pour pouvoir ensuite entrer dans sa gloire? Â» Il nous faut souffrir et nous ne devons pas en ĂŞtre Ă©tonnĂ©s, ni ĂŞtre scandalisĂ©s des douleurs que cela nous occasionne, des Ă©checs inattendus. Combien de fois avons-nous entendu quelqu’un pleurer auprès d’un ĂŞtre cher, blasphĂ©mant presque : « Si Dieu m’aime, pourquoi me l’a-t-il enlevĂ©? Â» Dieu t’aime et c’est pourquoi Il te l’a enlevĂ©, parce qu’Il veut que cet ĂŞtre soit au-devant de toi et que dans l’au-delĂ  tu puisses ĂŞtre rĂ©uni avec lui. Celui qui lutte pour la libĂ©ration et qui voit ses espoirs fracassĂ©s, la tentation lui vient de dire : « Cela ne se rĂ©glera pas par l’espĂ©rance chrĂ©tienne, il faut recourir Ă  la violence. Â» Mensonge! Dieu est patient parce qu’Il est Ă©ternel, espère avec Lui le ciel dĂ©finitif, le triomphe dĂ©finitif, les Pâques vĂ©ritables! […]

 

L’Église n’a pas de systèmes sociaux, elle ne possède pas de partis politiques. L’Église donne une inspiration d’espérance, un sens eschatologique à l’histoire et commande à ses fils qui vivent dans le monde et qui ont la tâche de le construire, de faire selon vos propres critères, une démocratie plus parfaite et un système social plus juste.

 

C’est à vous qu’il revient de le faire!

 

L’Église est suffisamment occupĂ©e Ă  rappeler cette espĂ©rance chrĂ©tienne qui sera toujours la critique de tous les systèmes. C’est pour cela qu’elle les critique Ă  partir de la perspective du système de la fĂ©licitĂ© Ă©ternelle et que l’Église peut dire Ă  chaque système historique : cela n’est pas bon, cela est injuste, ceci est mieux de cette façon. Elle Ă©claire depuis la perspective de l’espĂ©rance les rĂ©alitĂ©s de la terre. C’est cela la mission de l’Église. 09/04/78, p.157-158, IV.