L’Intériorité

 

Quinzième dimanche du temps ordinaire; 10 juillet 1977; Lectures : DeutĂ©ronome 30,10-14; Colossiens 1,15-20; Luc 10,25-37.

 

« Le Règne de Dieu est au-dedans de vous. Â» Nous vivons au-dehors de nous-mĂŞmes. Ils sont peu nombreux les hommes qui en vĂ©ritĂ© entrent au-dedans d’eux-mĂŞmes, et c’est pourquoi il y a tant de problèmes.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Se convertir de l’intérieur

2) Participer au bien commun

3) Christ, le résumé de tout

4) L’homme au cœur de la Création

5) L’Amour transforme le monde

6) L’Amour dans le travail

 

 

1) Se convertir de l’intérieur

 

L’homme n’est pas grand s’il ne se regarde pas de l’intérieur. Le Concile initia pour le monde moderne, à partir du cœur de l’Église, un humanisme nouveau, un humanisme chrétien qui nous apprend que c’est à partir de son intériorité que l’être humain peut comprendre que sa vocation la plus élevée est son intimité avec Dieu, et que dans le cœur de chacun, il y a comme une petite cellule intime où Dieu vient parler seul à seul avec l’homme ou la femme. C’est là que l’homme se définit et décide son propre destin, son propre rôle en ce monde.

 

Si chacun de ceux qui vivent des problèmes en ce moment, entraient dans cette petite cellule, et à partir de là, écoutaient la voix du Seigneur qui nous parle en notre propre conscience, combien pourrait-on faire, chacun de nous, pour améliorer l’atmosphère de la société et de la famille où nous vivons. Et si tous les Salvadoriens, ce dimanche où la Parole de Dieu est une Parole d’amour, nous prenions la résolution véritable, de vivre le principal des commandements, nous donnerions à l’intimité de notre être sa propre raison d’être. Je vous le jure, mes frères, que ce dimanche marquerait le changement total et qu’il n’y aurait plus besoin d’attendre que les changements arrivent du dehors, parce que chacun apporte de son propre intérieur ce que la patrie et le monde ont besoin parce que le monde et l’Histoire ne se construiront pas sans nous. Nous sommes partis prenante de la construction de l’Histoire et c’est en cela qu’évolue actuellement l’humanité. 10/07/77, p.122-123, I-II.

 

 

2) Participer au bien commun

 

C’est pourquoi, un des signes des temps actuels est ce dĂ©sir de participer, ce droit qu’a chacun et chacune de participer Ă  la construction de son propre bien commun. C’est pour cela, qu’une des infractions les plus dangereuses de l’heure actuelle est la rĂ©pression, cette manière de croire que : « Seulement nous, pouvons gouverner, les autres nous devons les enlever de notre chemin. Â» Chaque homme peut apporter beaucoup, c’est ainsi que s’établit la confiance. Ce n’est pas en excluant qu’on construit le bien commun. Ce n’est pas en expulsant ceux qui ne me conviennent pas que je vais enrichir le bien de ma patrie. C’est en tentant de gagner tout le bon qui existe en chacun, en essayant de l’extraire dans un climat de confiance, avec une force qui n’est pas une force physique - comme celui qui traiterait avec des ĂŞtres irrationnels - mais avec une force morale qui attire le bien de tous, surtout des jeunes inquiets, afin que chacun apporte de sa propre intĂ©rioritĂ©, de sa propre responsabilitĂ©, de sa façon d’être, pour Ă©lever cette belle pyramide que l’on nomme le bien commun. Le bien que nous faisons aux autres et qui crĂ©e des conditions de bontĂ©, de confiance, de libertĂ©, de paix, afin que tous nous construisions une vĂ©ritable rĂ©publique. RĂ©publique signifie la chose publique, ce qui appartient Ă  tous et ce que tous nous avons l’obligation de construire. 10/07/77, p.123, I-II.

 

 

3) Christ, le résumé de tout

 

Mes frères, comme est belle la perspective chrétienne! Le Christ est l’Homme-Dieu et en tant qu’homme, nous voyons que l’homme est capable d’aimer énormément, et en tant que Dieu, nous savons qu’Il est le commencement et la fin de toutes choses. Le Christ, en tant qu’homme et en tant que Dieu, nous donne les choses, Il nous donne la synthèse, le résumé final de tout ce qui existe. Seulement en Lui, nous pouvons connaître la félicité, la prospérité, l’amour, la liberté, la paix. Éliminer le Christ, avertit le Concile, c’est se suicider. Et Il le disait aux gouvernants parce que celui qui méprise le Christ et ce qui Le représente en ce monde, son Église, parce qu’Il est la tête du corps qu’est l’Église, et celui qui déprécie cette tête et ce corps, se suicide, parce qu’il perd la vision universelle des choses et il perd le sens de la vie humaine. Il ne voit plus l’homme que comme un rival, un obstacle, un fauve qu’il frappe à coup de bâton, brutalement.

 

Mais, si en chaque homme nous voyons, comme nous l’a dit Paul VI Ă  la fin du Concile : ce Concile nous a enseignĂ© Ă  regarder le Christ et, Ă  partir du Christ, Ă  regarder chaque homme, et alors nous verrons dans le visage de chacun, encore plus transparent et plus beau, davantage encore lorsque le purifient la douleur, la pauvretĂ©, l’angoisse, la souffrance, le visage du Christ qui est aussi celui d’un homme qui souffre, le visage d’un crucifiĂ©, le visage d’un pauvre, le visage d’un saint. Et dans le visage de chacun, nous apprendrions Ă  reconnaĂ®tre le visage du Christ. Aimons chacun avec le critère par lequel nous serons jugĂ©s Ă  la fin des temps : « J’ai eu faim et vous m’avez donnĂ© Ă  manger; j’ai eu soif et vous m’avez donnĂ© Ă  boire. Â»

 

Et lorsque, surpris, les gens lui demandèrent : « Quand, Seigneur, t’avons-nous vu sur la Terre et t’avons-nous secouru? Â» Il leur rĂ©pondit : « Tout ce que vous avez fait pour l’un de ces pauvres, c’est Ă  moi que vous l’avez fait. Â» Ce sera une Ă©pouvantable surprise, mes frères, quand beaucoup de bons samaritains, mĂŞme sans avoir la foi dans le Christ, mĂŞme sans ĂŞtre catholiques et sans persĂ©cuter l’Église, rencontreront, lors du jugement final, le Salut tandis que beaucoup de chrĂ©tiens seront laissĂ©s au-dehors, parce qu’ils n’auront pas accompli cette loi de l’amour, de la misĂ©ricorde.

 

Qu’est-ce qui rend grands ce visage et la condition humaine? C’est prĂ©cisĂ©ment cette vision de foi : regarder en chaque homme le visage du Christ; et alors, le Seigneur peut nous dire la jolie parabole du Samaritain (Lc 10,25-37). Pour moi, prĂŞtre, il s’agit d’un rappel terrible. Moi qui travaille Ă  l’accomplissement de la Parole de Dieu, je me reconnais dans le LĂ©vite et le prĂŞtre qui passèrent leur chemin devant le blessĂ© sans lui venir en aide. Celui qui dĂ©nonce doit ĂŞtre prĂŞt Ă©galement Ă  ĂŞtre dĂ©noncĂ©. Et je vous l’ai dit mille fois, mes frères, lorsqu’il y a dans notre attitude sacerdotale quelque chose d’indigne de l’amour qui doit inspirer le prĂ©dicateur de la Parole de Dieu, dĂ©noncez-le, mais avec amour, avec charitĂ©. N’allez pas commettre le mĂŞme pĂ©chĂ© que vous dĂ©noncez : dire au prĂŞtre qu’il est un marxiste, qu’il est un « tiers-mondiste Â», qu’il est un objet de scandale. Cela doit se faire avec charitĂ©, dans l’idĂ©e de corriger, ainsi l’on gagne une âme Ă  Dieu. Et c’est un devoir que les chrĂ©tiens doivent remplir. Mais, si cela se fait avec cette fureur avec laquelle sont Ă©crits de nombreux espaces payĂ©s dans les journaux, et jusqu’avec des menaces de mort, cela n’est pas dĂ©fendre la vĂ©ritĂ©, ni l’amour. C’est l’égoĂŻsme le plus crasse, et vous pĂ©chez alors plus gravement que les dĂ©ficiences que vous pouvez rencontrer en nous, prĂ©dicateurs de la Parole de Dieu, qui, en tant qu’êtres humains, sommes exposĂ©s aussi Ă  commettre des erreurs. Mais si nous les commettons, ce n’est pas avec la fureur, avec cet esprit criminel qui menace de mort le prĂ©dicateur. 10/07/77, p.124-125, I-II.

 

 

4) L’Homme au cœur de la création

 

Le sanctuaire intime de la CrĂ©ation c’est l’homme, parce qu’en aucune autre chose, Dieu n’a mis autant de Lui-mĂŞme que dans le cĹ“ur d’un homme, d’une femme, d’un enfant, d’un ancien, d’un jeune. Quelle est cette originalitĂ© de l’être humain dans la crĂ©ation? ĂŠtre libre, ĂŞtre intelligent, mais surtout cette immense capacitĂ© d’aimer. La loi de Dieu est l’amour; et c’est pourquoi l’écrivain de l’Ancien Testament nous dit (Dt 30,10-14) : « Tu n’as pas besoin d’aller le chercher de l’autre cĂ´tĂ© de la mer, ni dans les hauteurs du ciel; c’est dans ton propre cĹ“ur qu’est le Règne de Dieu. Â» Tu sens que tu aimes, mais n’aime pas de n’importe quelle manière. Aime avec cet amour qui a rendu saint les saints. Quel bonheur sentirais-je, mes frères, si comme fruit de cette parole que je vous transmets de la part de Dieu, j’éveillais, dans l’intimitĂ© de chaque cĹ“ur qui m’écoute, l’inquiĂ©tude de faire fleurir, encore davantage, cette capacitĂ© d’aimer que vous avez, ce respect envers votre propre dignitĂ© et, Ă  partir de votre propre dignitĂ© et de votre amour-propre, respectez la dignitĂ© des autres, aimez les autres, parce que nous avons cette capacitĂ© d’aimer. Celle-ci ne vient pas de nous, nous l’avons reçue de Dieu. Ainsi se nomme dans la Bible ce don d’une famille Ă  des amis intimes, dans ce partage du bonheur de manger ensemble, ils se donnent Ă  eux-mĂŞmes. Dieu nous fait cette « agape Â», nous donne son amour, afin que nous aussi, Ă  partir de notre cĹ“ur, nous donnions Ă  Dieu et Ă  notre prochain comme une invitation Ă  partager notre repas, une « agape Â» oĂą nous nous sentons heureux parce que nous partageons avec Dieu et avec tous les hommes, sans exception, cette immense capacitĂ© d’aimer.

 

Aimons-nous parce que nous sommes le cĹ“ur de la CrĂ©ation. Ni l’étoile, ni la fleur, ni l’oiseau, ni l’aurore, ni la mer, ni le paysage ne possèdent ce que possède un ĂŞtre humain : cette capacitĂ© d’aimer. C’est ce qui donne sens Ă  l’aurore, Ă  l’oiseau et Ă  la fleur; parce que c’est l’humain, avec sa capacitĂ© d’aimer, qui coupe la fleur, qui Ă©coute le concert des oiseaux et admire les aurores, pour les Ă©lever Ă  Dieu et lui dire : « Seigneur, combien grandes sont tes Ĺ“uvres, comme Tu es digne de louanges! Â» Mais lorsque l’homme n’aime pas, lorsqu’il n’use pas de cette capacitĂ© du cĹ“ur que Dieu lui a donnĂ©e au milieu de la CrĂ©ation, c’est dĂ©jĂ  un reproche. Et l’enfer dĂ©bute, lorsqu’on commence Ă  haĂŻr. […]

 

Ceux qui ne peuvent voir l’Église sans sentir de la rancœur, du ressentiment, sont des cœurs gagnés par Satan. Satan est la haine, l’envie, le mal. Tous ceux qui torturent d’autres hommes sont l’enfer. Tous ceux qui déprécient la dignité humaine et la transgressent sont inspirés par Satan; ce n’est pas l’amour. 10/07/77, p.125-126, I-II.

 

 

5) L’Amour transforme le monde

 

L’amour est le seul qui puisse transformer le monde. C’est pourquoi, si vraiment dans ce gouvernement il y a un dĂ©sir de paix, il doit aller Ă  la racine de la paix : justice et amour. Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cĹ“ur, de tout ton esprit, de toute ton âme, de tout ton ĂŞtre. […]

 

C’est pourquoi, sur cette Terre, il n’existe pas de joie plus grande, ni d’occupation plus noble que celle des saints qui travaillent le cœur tourné vers Dieu. Nous ne faisons pas ici allusion à la bigoterie qui consiste à seulement penser à Dieu et à oublier nos devoirs de la Terre. Si, dans la parabole du bon Samaritain, nous avons la condamnation de tous ceux qui croyant honorer Dieu, oublient leur prochain; ni le lévite, ni aucun homme ne peut prétexter aller à la messe, aller adorer Dieu, en oubliant les besoins de son prochain. Il s’agit ici d’un mouvement actuel dont l’Église est en train de faire la promotion, et plusieurs, lorsqu’elle parle de l’être humain, croient que l’Église s’éloigne de sa destinée éternelle. Le Pape, à la clôture du Concile Vatican II, démentit cette accusation. Si nous nous inclinons vers l’être nécessiteux, angoissé, dans sa pauvreté, dans sa misère, c’est parce que le cœur de l’Église est tourné vers Dieu. Lorsque tu fais les choses par amour pour Dieu, cette action est sainte. C’est dans l’intention de l’homme qu’est sa façon d’être. […] Lorsque tu fais ce que tu fais par amour pour Dieu, tout ce que tu fais est saint. 10/07/77, p.126-127, I-II.

 

 

6) L’Amour dans le travail

 

On construisait une cathĂ©drale et un observateur demanda aux travailleurs tandis qu’ils sculptaient les pierres : « Et toi, pourquoi travailles-tu ici? Â» Et l’ouvrier matĂ©rialiste lui rĂ©pond : « Parce que si je ne travaille pas je ne mange pas, parce que mon salaire me sert Ă  gagner le pain et Ă  me nourrir. Â» L’observateur demanda Ă  un second travailleur : « Et toi pourquoi travailles-tu ici? Â» Parce qu’il n’existe rien de plus beau au monde qu’une cathĂ©drale gothique et qu’à chacune des pierres que je pose, je pense que c’est ma contribution Ă  l’art. Â» C’était un homme un peu plus spirituel, mais il n’était pas parvenu au sommet. L’observateur s’adressa Ă  un troisième ouvrier et lui demanda : « Et toi pourquoi travailles-tu ici? Â» Et ce saint ouvrier lui rĂ©pondit : « Parce qu’il s’agit d’une cathĂ©drale, parce que d’ici vont s’élever de nombreuses prières Ă  Dieu et que je les anticipe dĂ©jĂ  par mon travail. Je travaille en priant. Â» C’est cela, la saintetĂ©. Trois hommes qui font la mĂŞme chose, mais l’un d’eux perd ses mĂ©rites pour Dieu tandis que l’autre gagne tout pour Dieu.[…]

 

Au soir de la vie, on te demandera des comptes sur ton amour, dit une poésie fameuse de Jean de la Croix. Ne l’oublions pas, au soir de notre vie, lorsqu’elle déclinera comme le soleil au crépuscule, c’est sur cela que le Seigneur nous demandera des comptes. Non pas de tout ce que vous aurez fait, ni des œuvres extérieures, qui bien souvent ne sont que prétextes à la vanité, sinon dans l’amour que vous aurez mis dans chaque chose. C’est le message d’aujourd’hui et c’est pourquoi nous avons répété que la violence n’est pas évangélique, que la véritable force de l’Église c’est l’amour. […]

On ne peut récolter ce qu’on ne sème pas. Comment pensons-nous pouvoir récolter de l’amour dans notre république, si nous semons seulement de la haine? Semons de l’amour, profitons de toutes les occasions, des plus difficiles, comme de pardonner à un ennemi, et des plus petites, comme sont les tâches quotidiennes. Donnons à notre vie un sens inspiré par l’amour et nous verrons comment le monde se transforme non seulement à partir des choses extérieures, parce que le Règne de Dieu n’est pas de l’autre côté de la mer ni dans les hauteurs du ciel, mais dans l’intimité de ton cœur. 10/07/77, p.127-128, I-II.