Du Christ seul, peut venir la véritable indépendance.

 

Vingt-troisième dimanche du temps ordinaire, 9 septembre 1979; Lectures : IsaĂŻe 35,4-7a; Jacques 2,1-5; Marc 7,31-37.

 

Encore une fois, les circonstances nous obligent Ă  cĂ©lĂ©brer notre eucharistie dans cette Ă©glise consacrĂ©e au SacrĂ©-CĹ“ur de JĂ©sus. Cela me remplit de beaucoup d’espĂ©rance parce que le CĹ“ur de JĂ©sus est le symbole de l’amour infini de Dieu rĂ©vĂ©lĂ© en JĂ©sus-Christ envers les humains. Qu’est-ce que nous venons faire Ă  la messe chaque dimanche? Nous venons nous imprĂ©gner toujours davantage, comme chrĂ©tiens, du mystère qui est Ă  la base de notre foi et de notre espĂ©rance : le mystère du Christ, mystère qui n’est pas autre chose que l’amour infini de Dieu, le projet infini de Dieu pour sauver les hommes, pour les Ă©lever et en faire avec Lui une seule famille. Nous sommes en pèlerinage parmi les vicissitudes de l’Histoire, parmi les tentations et les flatteries du monde. Le danger existe que nous demeurions installĂ©s sur la Terre et que nous oublions cet appel amoureux d’un Père qui nous attend les bras ouverts et qui non seulement nous espère, sinon qu’Il ne nous donne rien de moins pour la route, que son Fils, JĂ©sus-Christ.

 

Les circonstances nous poussent à faire cette réflexion en ce mois de l’indépendance qui sonne comme un sarcasme en ces heures de tant d’esclavages. C’est pour cela qu’aujourd’hui notre peuple célèbre de manière très différente. Il y a ceux qui planifient des choses extraordinaires, des coups d’éclat, de sang et de tragédie. C’est ainsi que nous vivons dans l’expectative de savoir ce que sera ce mois de septembre au Salvador.

 

 

Un défi… ne pas craindre les hommes, mais devenir un digne instrument de Dieu.

 

Pour ma part, je crois que septembre signifie, pour les chrĂ©tiens, un dĂ©fi. Le dĂ©fi d’un mot : indĂ©pendance. Non pas pour vivre des reprĂ©sailles, des faits sanglants, des tragĂ©dies douloureuses, sinon pour nous mettre du cĂ´tĂ© de Dieu, avec le Christ. Seigneur, Tu es le seul qui puisse donner leur vĂ©ritable libertĂ© aux humains.

L’indĂ©pendance de notre patrie, qui se cĂ©lèbre le 15 de ce mois, signifie le dĂ©fi de Dieu qui nous offre sa force pour ĂŞtre libres. Alors, la rĂ©action d’un bon Salvadorien, chrĂ©tien, ne doit pas ĂŞtre de terreur : « Qu’est-ce qui va se passer en septembre? Â» Les hommes ne peuvent pas davantage que Dieu le leur permet pour leur bien ou pour leur mal. « Pas un cheveu ne tombe de votre tĂŞte sans la permission de Dieu Â», a dit le Christ. « Ne craignez pas Â», disait le Seigneur. Je crois qu’aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de cette tranquillitĂ©, de cette sĂ©curitĂ©. Davantage que de craindre les hommes, nous devons craindre de ne pas ĂŞtre dociles entre les mains de Dieu.

 

Le dĂ©fi est le suivant : uniquement unis Ă  Dieu, en JĂ©sus-Christ, nous pouvons ĂŞtre de vĂ©ritables artisans de notre histoire. Dieu est le maĂ®tre de l’Histoire, le Christ est la Pierre angulaire de toute civilisation, c’est en Lui seul qu’elle possède consistance. Alors, je vous dirais : frères, donnons-nous le but – par amour Ă  la patrie – de nous mettre au cĂ´tĂ© du Christ et de rĂ©flĂ©chir sur ce qu’est la volontĂ© de Dieu pour ma vie. Puissent, Dieu, tous, et mĂŞme ceux qui avec une sensibilitĂ© Ă©vidente du social, du politique, vont par des chemins Ă©quivoques, nous disions ce que le Christ disait : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. Â» Unissons-nous au Christ. En JĂ©sus-Christ nous pouvons tout, comme disait saint Paul : « Je peux tout en Celui qui est ma force, mon espĂ©rance, mon orientation, le sens de ma vie. Â» Sans le Christ, la vie humaine est absurde, c’est convertir l’homme en chacal, en fauve, en dĂ©mon. Combien triste est l’homme sĂ©parĂ© du Christ, Ă©loignĂ© de Dieu!

 

 

La figure centrale de l’Évangile (Mc 7,31-37) d’aujourd’hui est le Christ et le sourd-muet.

 

Le Christ face au sourd-muet. Le sourd-muet est l’image de l’homme rĂ©duit en esclavage, marginalisĂ© : qui n’entend pas, qui ne parle pas, qui ne peut pas communiquer. Il est l’expression d’un vĂ©ritable esclavage. Le Christ, en lui touchant les oreilles et la langue, le libère.

 

Les deux autres lectures exposent l’image de l’esclavage.

Il y a un complĂ©ment dans ces autres lectures. Il y a une image triste de l’esclavage : le dĂ©sert! Les BĂ©douins disent, lorsqu’ils traversent le dĂ©sert et entendent au loin le rugissement du vent : « Ă‰coutez le bruit du vent! C’est le dĂ©sert qui se lamente et pleure parce qu’il voudrait ĂŞtre un jardin! Â» Je crois qu’il n’existe pas de figures plus Ă©loquentes du besoin de l’être humain que le dĂ©sert assoiffĂ©, immensitĂ© de sable, stĂ©rile, figure de la vĂ©ritable nĂ©cessitĂ© d’indĂ©pendance, de promotion.

 

Le mendiant marginalisé par le puissant – le serviteur du puissant.

Il y a une autre figure dans la seconde lecture d’aujourd’hui (Jc 2,1-5) dont saint Jacques, l’homme pratique, nous parle : le mendiant qui arrive Ă  une cĂ©rĂ©monie liturgique et au mĂŞme moment un autre homme bien vĂŞtu auquel on dit de s’asseoir en avant tandis qu’au pauvre on demande de s’asseoir par terre. Ce sont lĂ  deux figures de l’exclusion, de l’esclavage, le mendiant marginalisĂ© et le serviteur plus attentif Ă  l’homme bien nanti qu’au frère pauvre. Ce sont lĂ  les figures des lectures d’aujourd’hui.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Le Christ est Dieu en personne qui vient pour libérer l’être humain

2) C’est l’humain tout entier qu’Il veut sauver

3) Le Salut que le Christ nous apporte n’est pas une destruction, c’est une rénovation

 

Je crois que c’est là l’essentiel que nous pouvons extraire des lectures d’aujourd’hui, si opportunes pour ce moment tragique qui devient chaque jour plus sanglant. Ayons la sérénité et avec foi entrons dans cette réflexion de la Parole de Dieu. Comme complément, comme d’habitude, nous verrons comment cela se réalise dans l’Église de notre archidiocèse et dans la situation actuelle de notre pays. 09/09/79, p.231-233, VII.

 

 

1) Le Christ est Dieu en personne qui vient pour libérer l’être humain

 

 

La Prophétie (Is 35,4-7a)

 

Combien belle apparaĂ®t cette prophĂ©tie du prophète IsaĂŻe devant les exilĂ©s de Babylone (Is 35,4) : « Soyez forts, ne craignez pas; voici votre Dieu. C’est la vengeance qui vient, la rĂ©tribution divine. C’est lui qui vient nous sauver. Â» C’était cela la foi, la merveille incroyable que les prophètes annonçaient. Non plus seulement les prophètes vont diriger, disaient ces hommes qui parlaient au nom de Dieu, mais c’est Lui en personne qui vient. Et ce qu’Il nous envoie vous dire ce n’est rien d’autre que de prĂ©parer les chemins du Seigneur. PrĂ©parer les cĹ“urs, afin que lorsqu’Il arrivera en personne, Il puisse rencontrer une vĂ©ritable terre nouvelle oĂą sa Parole puisse produire des fruits.

 

 

A) Contexte de la prophĂ©tie : besoin de libĂ©ration

 

 

La captivité à Babylone

 

Le contexte oĂą ces paroles sont prononcĂ©es est la captivitĂ© Ă  Babylone. Ă€ cause des pĂ©chĂ©s de la Terre promise, les envahisseurs s’étaient emparĂ©s des rois et des populations et les avaient cruellement emportĂ©s en exil. C’est dans cette situation qu’ils se trouvaient. Il existe des psaumes qui nous relatent la tristesse, la nostalgie de vivre loin de la patrie. Ce prĂ©cieux psaume (137 (136)) des peupliers auprès des fleuves de Babylone qui ont inspirĂ© tant de musique et de poĂ©sies, exprime Ă  la perfection la nostalgie de celui qui aime sa patrie, mais qui reconnaĂ®t que par ses pĂ©chĂ©s il a Ă©tĂ© amenĂ© au dĂ©sert oĂą il attend le jour du pardon de Dieu (Ps 137,1-5) : « Au bord des fleuves de Babylone nous Ă©tions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion. […] Et c’est lĂ  qu’ils nous demandèrent, nos geĂ´liers, des cantiques, nos ravisseurs, de la joie : “Chantez-nous, disaient-ils, un cantique de Sion.” Comment chanterions-nous un cantique de YahvĂ© sur une terre Ă©trangère? Si je t’oublie, JĂ©rusalem, que ma droite se dessèche! Que ma langue s’attache Ă  mon palais! Â»

 

 

Lâche de cœur

 

Cet amour Ă  la patrie nous fait penser, prĂ©cisĂ©ment, Ă  ce qu’IsaĂŻe nous a dit (35,4-5) : « Dites aux cĹ“urs dĂ©faillants […]. Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds s’ouvriront. Â» L’être humain a besoin de cette PrĂ©sence de Dieu, voyez comment est notre destinĂ©e sans Dieu, vivre sous l’oppression. L’oppression de la peur, des lâches de cĹ“ur. Combien sont-ils en notre pays, ces lâches de cĹ“ur, peureux, inquiets? Ce sont lĂ  des signes que nous avons besoin de libĂ©ration, c’est le dĂ©sert qui gĂ©mit et pleure, voulant ĂŞtre un monde meilleur. Mais un signe encore plus Ă©vident de la nĂ©cessitĂ© de libĂ©ration, c’est l’infirmitĂ©. C’est pour cela qu’il y aura toujours des infirmes en ce monde, des aveugles, des sourds, des paralytiques, les hĂ´pitaux seront toujours nĂ©cessaires, souvent parce que les hommes sont cruels et les rendent nĂ©cessaires.

 

Comme il est triste de lire qu’au Salvador les deux principales causes de mortalitĂ© sont la diarrhĂ©e et immĂ©diatement derrière, l’assassinat, on meurt par homicide ou Ă  cause des consĂ©quences de lĂ©sions. C’est ce que nous rĂ©vèlent les statistiques. De sorte qu’immĂ©diatement après le signe de la malnutrition, la diarrhĂ©e, vient le signe du crime, l’assassinat. Ce sont les deux Ă©pidĂ©mies qui tuent notre peuple. C’est le contexte dans lequel IsaĂŻe parle, et parleraient les hommes d’aujourd’hui : « CĹ“urs dĂ©faillants, infirmes – signal de l’oppression, victime de la situation –, courage, Dieu viendra en personne. Regardez votre Dieu qui vient. Â»

 

 

La prophĂ©tie : figure de santĂ© pour les infirmes, figure du dĂ©sert qui fleurit

 

C’est le beau parallèle de l’Évangile de saint Marc (7,31-37) que nous avons lu aujourd’hui avec la prophĂ©tie d’IsaĂŻe qui nous annonce comme la prĂ©sence de Dieu, comme une action de Dieu, la floraison du dĂ©sert, la santĂ© des infirmes. C’est ainsi que les prophètes se reprĂ©sentaient les signes de la prĂ©sence personnelle de Dieu dans le monde : les biens messianiques. Les prophètes ne parvenaient pas Ă  bien les distinguer parce qu’ils devinaient de loin, d’une distance Ă©norme, les biens dĂ©jĂ  prĂ©sents de la RĂ©demption et les biens eschatologiques. Lorsque se terminera l’Histoire et que seront recueillis tous les fruits que le Christ a produits, alors, il n’y aura plus de crimes, il n’y aura plus de morts, mais en attendant, se rendent dĂ©jĂ  prĂ©sents les biens messianiques. Nous pouvons dĂ©jĂ  affirmer que le dĂ©sert est en fleur et que les infirmes ont Ă©tĂ© guĂ©ris. Le Christ Lui-mĂŞme nous a donnĂ© les signes Ă©vidents lorsque saint Jean-Baptiste lui fit demander (Lc 7,20) : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre? Â» Le Christ rĂ©pond seulement par les signes annoncĂ©s (Lc 7,22) : « Allez rapporter Ă  Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lĂ©preux sont purifiĂ©s, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncĂ©e aux pauvres. Â»

 

Ils aperçoivent dĂ©jĂ  les signes de la santĂ©, Dieu est venu, Il est dĂ©jĂ  parmi nous. MĂŞme si nous continuons d’apercevoir la bannière de la mort qui passe et le crime, qui se nourrit aussi du sang, la mort et le pĂ©chĂ© sont dĂ©jĂ  vaincus. C’est un peu comme une de ces baleines blessĂ©es qu’on remet Ă  la mer, mais elle est blessĂ©e, elle va mourir. « Le dernier ennemi Ă  ĂŞtre vaincu sera la mort Â», nous dit saint Paul. La mort est dĂ©jĂ  blessĂ©e Ă  mort et les morts vont s’échapper de la tombe. Que les pĂ©cheurs ne chantent pas victoire parce qu’ils sont dĂ©jĂ  vaincus. Le pĂ©chĂ©, le Christ l’a crucifiĂ© sur sa propre croix et celui qui croit en JĂ©sus-Christ possède dĂ©jĂ  la victoire. C’est pourquoi, aux cĹ“urs qui dĂ©faillent, nous disons que Dieu est dĂ©jĂ  parmi nous, infirmes, patience, cela passera; opprimĂ©s, convertissez en RĂ©demption votre souffrance et votre douleur. Cela ne signifie pas l’opium du peuple, sinon la lutte lĂ©gitime, mais sans perdre l’espĂ©rance du Dieu qui est dĂ©jĂ  prĂ©sent, sans s’éloigner de Lui et des orientations que le Dieu de l’Histoire continue de nous donner. 09/09/79, p.233-235, VII.

 

 

B) Présence et mission du Christ

 

La présence même du Christ dans l’Évangile d’aujourd’hui (Mc 7,31-37). L’Évangile de saint Marc possède justement ses traits typiques qui ne sont pas le moindre des enseignements que le Christ nous présente. Parce que ce qui pour lui apparaît important, ce n’est pas tant la doctrine du Christ que la personne du Christ qui incarne le Règne de Dieu présent sur la Terre. Il est merveilleux de penser que l’Évangile de saint Marc, que nous lisons cette année, année de tragédies pour le Salvador, nous dit ce qu’Isaïe annonçait dans sa prophétie qui est réalisée en Jésus-Christ. Et tous ceux qui croient en Jésus-Christ sont déjà rachetés, il n’est plus nécessaire d’être lâche, d’avoir peur. Il est temps pour nous, chrétiens, de fortifier notre courage afin de ne plus être lâches. Ne nous laissons pas déprimer par les circonstances, mais au contraire, appuyons dans le Seigneur, déjà présent dans l’Histoire, notre faiblesse, notre désorientation. À la manière des aveugles et des sourds, serrons la main de Jésus. Il va nous conduire à la victoire, la lumière viendra à nos yeux, apparaîtra la clarté de notre propre histoire salvadorienne. Lui seul peut nous donner la véritable indépendance.

 

 

La foi dans Notre Seigneur Jésus-Christ glorieux… les pauvres… critères de Dieu et des hommes

 

La seconde lecture (Jc 2,1-5) nous parle Ă©galement de cette PrĂ©sence lorsque saint Jacques dit aux chrĂ©tiens (2,1) : « Mes frères, ne mĂŞlez pas Ă  des considĂ©rations de personnes la foi en notre Seigneur JĂ©sus Christ glorifiĂ©. Â» Il est inconcevable que quelqu’un se dise chrĂ©tien et qu’il ne fasse pas, comme le Christ, une option prĂ©fĂ©rentielle pour les pauvres. C’est un scandale que les chrĂ©tiens d’aujourd’hui critiquent l’Église parce qu’elle pense aux pauvres. Cela n’est pas le christianisme! Le christianisme vĂ©ritable est le Christ qui dit, au travers de Jacques, le christianisme : « Cela est inconcevable, si vous avez la foi dans le Seigneur JĂ©sus-Christ glorifiĂ©, traitez comme des frères Ă©gaux le riche et le pauvre, ne vous laissez pas tromper par les apparences. Â»

 

C’est que plusieurs pensent que lorsque l’Église dit : « pour les pauvres Â», elle devient communiste, qu’elle fait de la politique. Non, c’est sa doctrine de toujours. La lecture d’aujourd’hui ne fut pas Ă©crite en 1979, saint Jacques a Ă©crit il y a vingt siècles, ce qui se passe c’est que les chrĂ©tiens d’aujourd’hui ont oubliĂ© les Écritures qui doivent rĂ©gir leur vie.

 

Quand nous disons « pour les pauvres Â», nous ne prenons pas parti en faveur d’une classe sociale. Ce que nous disons, dit Puebla, c’est une invitation Ă  toutes les classes sociales sans distinction de pauvre ou de riche. Nous disons Ă  tous : « Prenons au sĂ©rieux la cause des pauvres comme s’il s’agissait de notre propre cause; plus encore, comme cela est en vĂ©ritĂ©, de la cause du Christ qui au jour du jugement final nous dira que seuls se sauveront ceux qui ont aidĂ© le pauvre en ayant foi en Lui : “Tout ce que vous avez fait Ă  ces pauvres marginalisĂ©s, Ă  ces aveugles, Ă  ces handicapĂ©s, Ă  ces sourds, muets, c’est Ă  moi que vous l’avez fait.” Â» Il nous donne l’exemple : que sa PrĂ©sence, qui vit encore, grâce Ă  Dieu, et une Église qui tente de se rĂ©nover malgrĂ© la persĂ©cution et l’incomprĂ©hension, continuera d’être la mĂŞme politique de Dieu. C’est cela, la politique vĂ©ritable : celle qui traite les ĂŞtres humains non pas comme des hommes de première et de seconde catĂ©gories, sinon celle qui dit : « Vous ne pouvez faire exception de personne en celui qui croit dans le Seigneur JĂ©sus-Christ glorifiĂ©, incarnĂ© dans la misère des hommes. Â» 09/09/79, p.235-236, VII.

 

 

2) C’est l’humain tout entier qu’Il veut sauver

 

C’est une parole des derniers documents de l’Église, surtout, dans le Concile Vatican II et dans l’encyclique Populorum Progressio du Pape Paul VI, oĂą il dit : « C’est l’homme tout entier qu’Il est intĂ©ressĂ© Ă  sauver, âme et corps, cĹ“ur et esprit, transcendance et temporalitĂ©. Â»

 

 

A) Les esclavages

 

Lamentablement, très chers frères, nous sommes le produit d’une Ă©ducation spiritualiste, individualiste. C’est une Ă©ducation qui nous a enseignĂ© Ă  vouloir sauver notre âme sans nous prĂ©occuper des autres. Comme nous disions Ă  celui qui souffrait : « Patience, le Ciel s’en vient, endure. Â» Non! ce ne peut ĂŞtre cela, cela ce n’est pas sauver, ce n’est pas le Salut que le Christ nous a apportĂ©. Ce Salut est le Salut de tous les esclavages qui oppriment l’homme. Nous disions, dans les lectures d’aujourd’hui, quels sont ces esclavages : figures dans le dĂ©sert, dans l’accueil des personnes, dans les critères du monde qui prĂ©valent dans nos relations sociales. Il est nĂ©cessaire que l’être humain qui vit sous le signe d’autant d’oppressions et d’esclavages – la peur qui rend les coeurs esclaves; l’infirmitĂ© qui opprime les corps, la tristesse, la prĂ©occupation, la terreur qui opprime notre libertĂ© et notre vie – rompe toutes ses chaĂ®nes. C’est par lĂ  qu’il nous faut commencer! Cela ne vous semble pas un esclavage qui vraiment humilie : ĂŞtre servile? De sorte que pour demeurer bien avec les puissants il faille humilier les humbles…

 

 

B) La libération dans le Christ

 

 

Dieu apporte la revanche

 

Regardez comment on annonce, dans la première lecture (Is 35), la libĂ©ration que Dieu apporte : « Dieu vient en personne, Il apporte la revanche, Il dĂ©dommagera, Il donnera la santĂ© aux corps, Il fera fleurir le dĂ©sert. Â» Quelle phrase magistrale pour penser ce qu’est la vĂ©ritable libĂ©ration que Dieu veut : la revanche! Ce n’est pas une vengeance d’égoĂŻsme, c’est remettre les choses Ă  leur place, c’est leur dire : tous sont frères, il n’est plus nĂ©cessaire que certains humilient les autres. La revanche de Dieu sera son amour, puissent les hommes et les femmes le comprendre.

 

 

Il dédommagera

 

Comme lorsqu’on a offensé quelqu’un et qu’on vient pour dédommager, pour réparer, pour demander pardon. Le Christ vient, précisément, pour cela, pour demander pardon au Père parce que les humains l’ont offensé avec autant de terreurs et d’oppressions qui ne sont pas la foi en Dieu. Quand le Christ meurt sur la croix Il dédommage, Il apporte la revanche. Ce sont là les revanches de Dieu, ce sont là les revendications que Dieu veut, celles qui s’appuient sur la libération de notre cœur du propre péché. C’est là que se situe la cause, et tous ceux qui crient, qui parlent et qui réalisent des œuvres de libérations, mais en opprimant, en tuant, en faisant le mal, n’ont pas compris que la véritable violence qui sauve est celle que chacun se fait à soi-même. Dédommager Dieu pour mes péchés à partir de mon propre cœur.

 

Cet homme total (que le Christ veut sauver) possède une dimension transcendante et une dimension historique. C’est pourquoi dans ce geste du Christ, j’aimerais souligner les dimensions suivantes.

 

 

C) Mission transcendante

 

En premier lieu : le Christ se prĂ©occupe d’un sourd-muet, s’il s’agissait vraiment d’une spiritualitĂ© individualiste ou Ă©goĂŻste, Il aurait passĂ© son chemin comme le prĂŞtre de la parabole, sans faire de cas du pauvre sourd-muet; cependant, Il s’y attarde et avec la patience de celui qui administre un sacrement Il accomplit ces gestes sacramentaux : Il lui met les doigts dans les oreilles et avec sa salive Il lui touche la langue. Voyez la puissance du corps du Christ. Le Christ c’est Dieu en personne, incarnĂ© dans un corps humain, et tout ce que le Christ touche possède la puissance de Dieu. Les doigts du Christ, des doigts d’homme comme les miens, mais Ă  l’intĂ©rieur de Lui il y avait ce que je n’ai pas en moi : la Personne Divine du Fils de Dieu. Toucher l’infirmitĂ© et la guĂ©rir! Il aurait pu aussi bien faire fleurir le dĂ©sert tout comme Il a calmĂ© les eaux et les tempĂŞtes.

 

Il y a une grande puissance en Dieu. C’est pourquoi Ă  ce sourd-muet, auquel JĂ©sus ne pouvait peut-ĂŞtre pas parler parce qu’il ne l’entendait pas, d’un geste Il a tout dit : lui touchant les oreilles et la langue, en levant les yeux au Ciel, et en soufflant sur lui. Ce sont des gestes qui parlent mĂŞme aux sourds-muets : les signes de la libĂ©ration. Il lui dit : « Tu possèdes une destinĂ©e transcendantale : le Ciel. Moi-mĂŞme Je viens de lĂ . Combien doux devait ĂŞtre ce regard du Christ envers son Père : l’infinitĂ© avec Dieu. Ce sont lĂ  les vĂ©ritables libĂ©rateurs, les hommes qui n’oublient pas que Dieu seul est la destinĂ©e (ultime) de la libĂ©ration humaine. Â» Des hommes et des femmes qui savent prier et qui savent Ă©lever, jusqu’à ceux qui ne le comprennent pas, le sentiment de Dieu. C’est cela la dimension de toute RĂ©demption. Ă€ quoi aurait-il servi au pauvre sourd-muet que Dieu lui donne une langue et une ouĂŻe bien claire si après il ne s’en est pas servi pour Dieu et qu’il s’est condamnĂ©? Ă€ quoi sert toute la beautĂ© du monde, Ă  quoi sert tout l’argent sur la Terre, Ă  quoi cela sert-il de possĂ©der beaucoup si cela n’est pas transcendant? C’est cela la promotion que le Christ veut de l’homme dans sa dimension transcendante.

 

 

D) Dimension historique

 

Mais cela ne signifie pas que l’homme soit seulement cette transcendance, mais que ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui c’est cette dimension historique. Parmi les nombreux services que l’Église rend au Salvador, j’aimerais souligner celui-ci dont je parle dans ma lettre pastorale : « Promouvoir la libertĂ© intĂ©grale de l’homme Ă  partir d’un concept de ce qu’est la personne humaine Â», un concept intĂ©gral que le Pape (Jean-Paul II) Ă  Puebla qualifiait ainsi : « L’humain est le premier chemin que l’Église doit parcourir pour accomplir sa mission. La personne humaine est le chemin principal et fondamental de l’Église. Â»

 

Il s’agit d’un homme concret, historique, tel qu’il vit aujourd’hui. Et pour cela, les pères, Ă  Puebla, nous avons tentĂ© de voir l’homme latino-amĂ©ricain et c’est Ă  partir de lĂ  que je dĂ©duis ce qu’est l’homme salvadorien, nous autres, que je visitais dans les bidonvilles, qui vit lĂ  dans la misère, dans la pauvretĂ© et dans la faim. C’est Ă  lui que nous devons annoncer : « Il est certain que nous n’avons pas d’or ni d’argent, mais voulons donner ce que nous avons : le nom de JĂ©sus de Nazareth, lève-toi et marche. Â» RĂ©alisez-vous, nous ne voulons pas d’hommes qui ne soient que la masse impassible, nous ne voulons pas des hommes qui se laissent manipuler, nous voulons des gens qui soient de vĂ©ritables images de Dieu qui, mĂŞme s’ils vivent dans les bidonvilles, dans les campagnes, soient respectĂ©es.

 

« Cet idĂ©al, dis-je dans ma lettre pastorale, recueille toutes les dimensions de la rĂ©alitĂ© de l’homme, sans en exclure aucune, ni rĂ©duire la foi Ă  une simple promotion sociale ou politique. Â» NĂ©anmoins, nous devons aujourd’hui souligner la dimension sociale et historique de cette libĂ©ration telle que le demande Puebla qui dit : « l’Évangile que nous devons enseigner, devant les rĂ©alitĂ©s que nous vivons, ne peut aujourd’hui, en AmĂ©rique Latine, prĂ©tendre aimer en vĂ©ritĂ© l’être humain et tout autant Dieu, sans s’engager d’une manière personnelle et, souvent mĂŞme, au niveau des structures, au service et Ă  la promotion des groupes humains et des couches sociales les plus appauvries et humiliĂ©es, avec toutes les consĂ©quences qui s’ensuivent sur le plan de ces rĂ©alitĂ©s temporelles. Â»

 

Ainsi, la dimension humaine est transcendante, mais également historique, temporelle, concrète. C’est cet être humain qui est appelé au Salut éternel, mais qui aujourd’hui se meurt de faim et qui ne reçoit pas le salaire qu’on lui doit. C’est cette personne qui possède une vocation au Ciel, mais qui a été également créée par Dieu pour être heureuse sur la Terre. C’est elle qui sera mon frère, ma sœur, dans l’éternité avec toute l’humanité, mais pour cela nous devons dès maintenant apprendre à vivre en frère sur la Terre, non pas en nous haïssant ni en nous entre-tuant.

 

 

Le destin des pauvres : riches dans la foi

 

Quand le Christ, au travers de saint Jacques, dit qu’il ne faut pas dĂ©prĂ©cier le pauvre pour prĂ©fĂ©rer le riche, il pose une exigence qui pourrait servir d’examen de conscience Ă  chacun d’entre nous (Jc 2,4-5) : « Ne portez-vous pas en vous-mĂŞmes un jugement, ne devenez-vous pas des juges aux pensĂ©es perverses? Écoutez, mes frères bien-aimĂ©s : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres selon le monde comme riches dans la foi et hĂ©ritiers du Royaume qu’Il a promis Ă  ceux qui l’aiment? Â» Il ne suffit pas d’être pauvre, il faut aussi aimer Dieu, ĂŞtre pauvre dans la grâce de Dieu. C’est que les pauvres, dirent l’Église et la rĂ©vĂ©lation divine, possèdent une plus grande capacitĂ© que les autres classes sociales, Ă  percevoir le message et la RĂ©demption de JĂ©sus-Christ.

 

C’est pourquoi nous ne pouvons faire abstraction de la dimension temporelle, terrestre, mais Ă©galement Ă  partir de la conversion. Parce qu’il dit : « Qu’il les a choisis pour les rendre riches dans la foi! Â» Par leur amour Ă  Dieu, ils savourent dĂ©jĂ  un destin Ă©ternel oĂą Dieu les garde dans sa prĂ©fĂ©rence, ici, sur la Terre. Très chers pauvres, vous ĂŞtes la majoritĂ© de ceux qui se trouvent ici pour participer Ă  cette mĂ©ditation, parce que je veux me compter Ă©galement parmi les pauvres. Parce que je sais que c’est seulement par ce chemin et dans ce contexte que nous pouvons nous retrouver en vĂ©ritĂ©, avec sincĂ©ritĂ© et authenticitĂ©. Tâchons d’être dignes de cette prĂ©fĂ©rence de Dieu. Soyons pauvres, dignes de ce Dieu qui nous rend riches dans la foi et riches dans l’amour du Seigneur. C’est cela notre richesse : n’en cherchons pas d’autres pour notre dĂ©veloppement tant personnel qu’historique. Parce que je ne veux pas ĂŞtre, comme quelqu’un a dit dans le Bloc Populaire RĂ©volutionnaire, un opium.

 

Jamais! je dis que, précisément, ces promotions de la transcendance sont pour encourager davantage la promotion de la dimension historique et sociale, de l’économique et du politique. Je suis en train de dire que Dieu n’a pas seulement fait le Ciel après la mort pour l’être humain, sinon qu’Il a fait cette Terre pour tous. Cela n’est pas de l’opium!

 

 

Intériorité… Le prenant à part

 

Il y a un dĂ©tail que je voudrais que nous approfondissions, non pas tant dans le temps que dans l’intensitĂ© de notre rĂ©flexion. Quand le Christ se prĂ©occupe de faire la promotion de ce sourd-muet, l’Évangile nous dit (Mc 7,33) : « Le prenant Ă  part. Â» Quel geste plus significatif en cette heure! Saint Marc, fidèle Ă  son idĂ©al thĂ©ologique, nous prĂ©sente un Christ qui porte le mystère du Règne de Dieu, mais que le peuple ne peut pas comprendre. C’est pourquoi Il tente de cacher beaucoup de choses qui pourraient le faire briller. Ă€ ces intimes – les apĂ´tres – Il fait souvent le reproche de ne pas faire leur possible pour comprendre cette intimitĂ©. Mais devant le peuple, Il est encore bien plus rĂ©servĂ© parce qu’à son heure Dieu dira la parole dont le peuple a besoin pour reconnaĂ®tre le Fils de Dieu.

 

Mais Ă  part ce sens thĂ©ologique du Règne de Dieu cachĂ© comme un mystère en JĂ©sus-Christ, et c’est pour cela qu’Il met de cĂ´tĂ© le sourd-muet, je voudrais voir cet autre aspect : « la multitude Â», le bruit du monde, les cris des marchands, la musique de stentor, tout cela Ă©tourdit. Il existe seulement un endroit oĂą l’homme puisse rencontrer Dieu et oĂą le Christ puisse faire les gestes de transcendance et d’amour au pauvre sourd : dans la solitude et l’intĂ©rioritĂ©. Frères, aujourd’hui il existe de nombreux bruits, des prises d’églises et avec le bruit de ceux qui parlent tant qu’ils fatiguent la population, manifestations, fusillades, cris. Tout cela ne sauve pas si cela n’apporte pas un fond d’intĂ©rioritĂ©, de rĂ©flexion, de planification; c’est trop, cela nous anĂ©antit davantage.

 

Le Concile dit, ce qui manque au monde d’aujourd’hui, ce ne sont pas seulement des techniciens des arts, des sciences, des choses exactes, ce qui fait surtout défaut ce sont des techniciens en humanité. Ce qui manque aujourd’hui à la civilisation c’est la sagesse, la réflexion. C’est pourquoi je demande à tous, comme un mendiant, de prier, de beaucoup prier pour l’Église. Réfléchissons. Et s’il est certain qu’ici j’utilise également un micro, cela est nécessaire pour la communication, c’est pour transmettre un message de réflexion, de sérénité, de paix, mais aussi de justice et de dénonciations, non pas pour faire de la démagogie.

 

Retenez bien cette phrase de Pie IX, un Pape qui avait des phrases courtes et incisives, qui pourrait bien ĂŞtre le commentaire de ce geste du Christ : « Le prenant Ă  part, Il le guĂ©rit. Â» Ce Pape disait donc : « Le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas le bien. Â» 09/09/79, p.236-241, VII.

 

 

3) Le Salut que le Christ nous apporte n’est pas une destruction, c’est une rénovation

 

Ce n’est pas un Salut qui détruit, mais un Salut qui rénove, qui refait, qui fait du neuf.

 

 

Le Christ, l’homme qui refait.

 

Quand le prophète IsaĂŻe, que nous avons lu aujourd’hui, annonce le caractère du Messie dans la figure mystĂ©rieuse du Serviteur de YahvĂ©, il dit cette phrase que plusieurs ne comprennent pas (Is 42,3) : « Il ne brise pas le roseau froissĂ©, Il n’éteint pas la mèche qui faiblit, fidèlement, il prĂ©sente le droit. Â» Phrases merveilleuses pour dire que le Christ n’est pas l’homme irascible qui, aussitĂ´t qu’un roseau s’est froissĂ©, finit de le casser et le jette au loin. Sinon que, avec la mansuĂ©tude d’un mĂ©decin, Il le redresse, le rĂ©pare et ainsi nous avons un bon roseau. Il n’éteint pas le feu parce qu’il demeure encore une braise parmi les cendres. Avec patience, il Ă©carte la cendre et commence Ă  souffler, lui met un peu de brindilles, un peu d’herbes sèches, de petits bois et, le feu recommence Ă  brĂ»ler. C’est cela la comparaison du Christ, l’homme qui refait.

 

 

Appel aux pécheurs

 

Qu’est-ce que fait le Christ parmi les sourds, les muets, les lĂ©preux et les pĂ©cheurs? Les hypocrites lui reprochent : « Regardez, votre maĂ®tre mange avec les pĂ©cheurs et c’est interdit par la loi. Â» « Hypocrites, leur dit le Christ, ce ne sont pas les gens en santĂ© qui ont besoin d’un mĂ©decin, mais les malades. Je ne suis pas venu pour appeler les justes, ceux-ci marchent dĂ©jĂ  vers le ciel, je suis venu pour appeler les pĂ©cheurs. Â» Il est important de savoir regarder Ă  l’intĂ©rieur de soi pour reconnaĂ®tre que j’ai besoin du Christ. Parce que celui qui croit qu’il n’a pas besoin du Christ, ni du Pape, ni de l’évĂŞque, ni de l’Église, est un orgueilleux. Il est un de ceux dont la Vierge dit dans le Magnificat (Lc 1,51-52) : « Il a dispersĂ© les hommes au cĹ“ur superbe […] et a Ă©levĂ© les humbles. Â»

 

Le Christ est l’homme qui refait l’histoire de son propre peuple. On dirait que les défaites humaines, le reste d’Israël, la plante qui est sur le point de se briser, le Christ la recueille à temps et la relève et c’est de là que provient le Salut du monde.

 

 

Il s’incarne et se fait l’un des nôtres.

 

Qu’est-ce que l’Incarnation? « Dieu, dit saint Paul, n’hĂ©sita pas Ă  abandonner sa dignitĂ© de Dieu pour se faire semblable Ă  nous. Â» Plus encore, esclave jusqu’à la mort, sur une croix comme mouraient les esclaves. Les citoyens romains ne rendaient jamais une sentence de crucifixion contre un des leurs. Cela Ă©tait indigne d’un citoyen libre de Rome de mourir crucifiĂ©. Mourir crucifiĂ© Ă©tait la sentence rĂ©servĂ©e aux esclaves, aux bandits, aux gens indignes, aux rebuts de la sociĂ©tĂ©. C’est cette mort que le Christ accepta, celle d’un bandit. C’est pourquoi les premiers chrĂ©tiens avaient tant de difficultĂ©s Ă  se reprĂ©senter le CrucifiĂ© parce qu’ils disaient : si cet homme est mort ainsi, il n’est pas digne d’être adorĂ©. C’est ainsi que le Christ dĂ©truisit sa propre dignitĂ©, prĂ©cisĂ©ment pour pĂ©nĂ©trer au plus profond, oĂą Ă©tait tombĂ©e la dignitĂ© humaine, afin de la relever. « C’est pourquoi, poursuit saint Paul, Dieu l’exalta et Lui donna un Nom au-dessus de tous les noms, de sorte que devant son Nom flĂ©chissent tous les genoux dans le Ciel, dans les abĂ®mes et sur la Terre. Â» C’est cela, notre espĂ©rance, le Christ qui s’incarne et qui se fait l’un des nĂ´tres. Nous devrions assumer, très chers frères, notre humanitĂ© en tant que telle.

 

Bienheureux le Salvadorien qui en ces heures n’a pas honte de sa patrie, mais l’assume, non pas pour l’empirer, mais pour la refaire! Bienheureux le Salvadorien qui en ces jours, en ce mois de l’indĂ©pendance, reconnaĂ®t : tout n’est pas glorieux dans ma patrie. L’hymne national que nous chantons sonne souvent comme un sarcasme horrible, nĂ©anmoins, je veux que cet hymne soit chantĂ© un jour pour le futur auquel je dois contribuer dans le sens de la promotion humaine dans toutes ses dimensions.

 

JĂ©sus ressuscita et par sa rĂ©surrection Il est devenu l’homme qui donne la vie Ă©ternelle. Depuis le jour oĂą le Christ est sorti glorifiĂ© de sa tombe, a commencĂ© la nouvelle Histoire de l’humanitĂ©. Et les peuples peuvent sentir sa RĂ©demption dans la mesure oĂą ils croient en cette Vie Ă©ternelle ressuscitĂ©e en JĂ©sus-Christ. « DĂ©jĂ , dit le Concile, la transformation du monde commença en JĂ©sus-Christ ressuscitĂ©. Â» L’Église a cet engagement de continuer de prĂŞcher, dimanche après dimanche, et Ă  chaque messe : « Nous annonçons ta mort, nous proclamons ta rĂ©surrection. Viens Seigneur JĂ©sus! Â»

 

En rĂ©sumĂ©, ma rĂ©flexion a Ă©tĂ© celle-ci : Dieu vient en personne pour nous sauver. La promotion que le Christ veut rĂ©aliser de l’être humain c’est tout l’homme dans sa dimension transcendante, dans sa dimension historique, dans sa dimension spirituelle, dans sa dimension corporelle. C’est l’homme tout entier qu’il faut sauver. L’homme dans ses relations sociales, l’homme qui ne doit pas se considĂ©rer plus que l’autre, mais tous frères et avec une attention spĂ©ciale envers le plus faible et le plus nĂ©cessiteux. C’est l’être humain intĂ©gral que l’Église veut sauver. C’est une mission difficile! C’est pourquoi on qualifie souvent l’Église de subversive et de communiste, de rĂ©volutionnaire, mais l’Église sait quelle est sa rĂ©volution : celle de l’amour de JĂ©sus-Christ. Et parce que la rĂ©volution de l’Église est la mĂŞme que celle du Christ, ma troisième rĂ©flexion a portĂ© sur le fait qu’Il ne vient pas pour dĂ©truire, mais pour refaire, Ă  partir de la propre faiblesse et de la misère humaine, c’est pourquoi Il appelle Ă  la conversion. Parce que si celui qui entend est un criminel, demain il peut ĂŞtre un apĂ´tre. Comment est-ce que le Christ refit saint Paul, le persĂ©cuteur? Une autoritĂ© ecclĂ©siastique drastique devrait lancer l’excommunication contre ce Saul. Mais le Christ qui n’éteint pas la mèche fumante lui envoie un directeur spirituel, le baptise, l’envoie au dĂ©sert rĂ©flĂ©chir et Il en fait une personne nouvelle. L’apĂ´tre peut ainsi dire : « Je ne suis pas digne de m’appeler apĂ´tre parce que j’ai persĂ©cutĂ© l’Église. Mais la grâce de Dieu ne fut pas vaine en moi. Â» Comme j’aimerais, en ce jour, que tous ceux qui aujourd’hui sèment la terreur comme SaĂĽl Ă  JĂ©rusalem et en Terre Sainte se convertissent. Après cette profonde rĂ©flexion, comme je voudrais que ceux Ă  qui on a commandĂ© d’aller tuer des gens ou bien ceux qui donnent les ordres de tuer ou ceux qui exĂ©cutent ces ordres pour de l’argent rĂ©flĂ©chissent un peu : que vais-je faire? Je crois que plusieurs changeraient d’idĂ©e. 09/09/79, p.241-243, VII.

 

 

La Mission du Christ aujourd’hui dans son Église

 

C’est pourquoi je vais tenter d’appliquer maintenant, à notre propre histoire, ces caractéristiques de la Parole de Dieu. Je vous inviterais au désert du monde ensanglanté, douloureux, des cœurs tremblants. Tout cela nous parle de la nécessité de libération. L’Église peut donner la libération à ce monde parce de ce monde surgit comme le gémissement du désert. Ce ne sont pas des manifestations chrétiennes, mais je lis dans les journaux certaines réclamations, certaines pétitions. C’est le désert qui gémit et il faut entendre ces voix. L’Église y voit les pousses de l’Esprit saint qui s’exprime également au travers du monde profane. L’Église qui porte la force de l’Esprit saint, si elle s’allie à ces cœurs nobles du monde, pourrait faire fleurir notre désert.

 

Quelle est l’Église? Efforçons-nous que cette Église que je vais vous dĂ©crire maintenant, l’Église de l’archidiocèse et l’Église universelle, ne soit pas confondue avec le peuple en gĂ©nĂ©ral du Salvador, sinon que par la sĂ©lection que le Christ a effectuĂ©e par le baptĂŞme pour former l’Église. Ne confondons jamais, très chers frères, l’Église peuple de Dieu avec le peuple salvadorien, la patrie. Ce sont lĂ  des choses distinctes mĂŞme si un mĂŞme homme peut ĂŞtre Salvadorien et membre du peuple de Dieu, mais ce sont lĂ  deux aspects de sa personnalitĂ© : comme membre de l’Église il doit ĂŞtre un homme qui croit, qui espère, qui place toute sa confiance en JĂ©sus-Christ Notre Seigneur. Il participe Ă  une Église toujours plus comprĂ©hensive et au service du monde, sans trahir sa propre identitĂ©, il ne se vend pas pour des avantages terrestres ses idĂ©aux chrĂ©tiens. C’est cela l’Église concrète de laquelle je vous donne ces nouvelles. 09/09/79, p.243, VII.

 

Naturellement, la Parole de Dieu contient quelque chose d’explosif et c’est pourquoi peu de gens acceptent de la porter. S’il s’agissait de dynamite mouillée, plus personne n’en aurait peur. C’est pourquoi la rédaction prend le soin d’écrire et de publier Orientación qui oriente vraiment dans le vrai sens de la vie de l’Église. Une Église qui par ses moyens de communication veut promouvoir la dimension historique, doit s’attendre à rencontrer des réticences dans l’Histoire.

 

La dimension transcendantale ne suffit pas, même il est très beau de parler et d’écrire sur les choses transcendantes. L’historique et le transcendant en équilibre, c’est ce que nous tentons de faire à travers nos moyens de communications sociales. C’est pourquoi je tente de faire de l’homélie du dimanche, qui est retransmise sur les ondes de la radio YSAX, le moment fort de l’évangélisation de notre archidiocèse. 09/09/79, p.247, VII.

 

 

Pensée qui nous conduit à l’autel

 

C’est cela l’Église et le panorama où elle développe sa mission. Puissent, Dieu, que nous nous engagions tous par cette eucharistie, unis au Christ libérateur, à nous importer de ce qui importe vraiment au Christ. Celui qui est venu en personne pour nous sauver, pour sauver l’homme tout entier, dans sa dimension transcendantale et dans sa dimension historique.

 

La méthode qu’Il emploie pour nous sauver n’est pas négative, mais très positive, elle ne détruit rien, mais elle refait. Aujourd’hui précisément c’est ce que nous allons faire. Sur l’autel du sacrifice eucharistique, nous avons la présence du Christ mort et ressuscité. C’est là que commença l’histoire de la restauration. Tout homme, aussi pécheur et traître qu’il ait été, quand il s’incorpore à cette mort et à cette résurrection, devient un élément utile pour la patrie. Puisse Dieu, entendent-ils cet appel, ceux, qui jusqu’à cette heure n’ont fait que semer le sang, la désolation, la mort, la douleur et le crime. Il est déjà temps qu’ils se convertissent et qu’ils vivent. L’Église les aime trop, Dieu les aime trop pour les laisser continuer tranquillement par ces chemins de sang et de violence. 09/09/79, p.252, VII.